QOHELETH/ECCLESIASTE

Introduction

Chap. 1

Chap. 2Chap. 3 et 4Chap. 5 à 8Chap. 9 et 10

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Chapitre IX

v 1
Oui, j'ai cherché passionnément à élucider tout ce que j'ai observé. J'en ai tiré la conclusion que les justes, les sages et leurs entreprises sont dans la main de Dieu. Ils ne peuvent rien savoir par avance, ni l'amour ni la haine: tout leur arrive comme à tous les autres
.

Jonathan: le juste est comme tout le monde....

Rabbi: le sage prétend prendre en main la direction de sa vie et être l'artisan de sa réussite et de son bonheur. Certes il entend bien rester dans la soumission au Dieu créateur et à l'ordre du monde. Mais cet ordre une fois reconnu, c'est librement qu'il voudrait s'y insérer. Hélas aucun ordre ne se révèle à l'investigation du sage; il n'est en aucune manière maître de son destin. Et le voilà incapable de bâtir un projet de vie qu'il puisse espérer réaliser avec succès. Dieu conserve jalousement l'initiative, empêchant l'homme d'avoir prise sur son avenir (7:14). Le bonheur vient à l'homme de la main de Dieu (2:24b) qui dessine à sa guise l'épure de chaque existence humaine, choisissant et agençant les "temps" qui la composent (3:1-15). Le plan que Dieu a établi pour régir l'univers ne peut être compris par l'homme mortel qui n'appuie ses conclusions que sur des raisonnements empiriques. Bien que toute chose se trouve devant l'homme, il n'a pas suffisamment d'intelligence pour comprendre les voies de Dieu ni pour maîtriser totalement son destin.

Et tout se passe indistinctement pour les justes et les sages. Ils ne sont traités ni mieux ni plus mal. Ni favorisés ni épargnés.

 

v 2
Et c'est tout pareil pour tout le monde: une même aventure est réservée à celui qui est juste comme au malfaisant, à celui qui est bon comme au méchant, à celui qui est propre et à celui qui est contaminé. Il n'y a pas de différence entre celui qui est fidèle au culte et celui qui ne l'est pas, entre celui qui fait le bien et celui qui est pécheur, entre celui qui fait des promesses à Dieu et celui qui a peur d'en faire.

Jonathan: il y a au moins une justice dans l'humanité..

Rabbi: oui, et c'est celle du destin réservé à tous dans ce monde. Le "destin" est une allusion à la mort. On ne peut que constater l'égalité de condition de tous devant la mort: devant elle, pas de favoritisme, pas d'exception; c'est une vérité d'universelle expérience. Qoh s'en est déjà exprimé en 2:14-15 et en 6:6; il parle du lieu unique vers lequel s'achemine tout homme. Qoh 2 a analysé le scandale de la mort qui met une fin brutale à la carrière du sage. Le scandale est accru par le fait que la mort frappe aveuglément, sans égard pour la qualité de l'existence qu'elle tranche. Prématurée, elle surprend le sage aussi bien que l'insensé; tardive, elle accorde le sursis au méchant comme au juste. Une même menace et une même incertitude planent sur tout homme; l'attitude adoptée vis-à-vis de Dieu est indifférente. Nous sommes désormais tous égaux, que nous soyons bons ou méchants. Qoh ne dit pas que Dieu punit les méchants en les faisant mourir prématurément (Ps 37; Jb 4:8-9). David et Nabuchodonosor sont des exemples typiques: le premier prépara la construction du Temple, le second le détruisit, mais tous deux régnèrent durant 40 ans.
La participation cultuelle est sans répercussion: qu'on sacrifie ou non, on n'est pas plus assuré contre la mort. Qu'on se souvienne des mises en garde de Qoh 4:17-5:6 contre les illusions qui peuvent inspirer les pratiques religieuses.
Vanité, inconsistance, stérilité, énigme.

v 3
Le mal, pour tout ce qui s'accomplit sous le soleil, est le suivant: tous les hommes partagent la même condition; c'est la raison pour laquelle, durant leur existence, leur coeur est rempli de méchanceté et de désirs insensés. Ensuite, il ne leur reste plus qu'à rejoindre les morts.

Jonathan: décidément, Qoh est hanté par cette question de la justice devant la mort.

Rabbi: il y a de quoi, car il a constaté que la mort, frappant tout le monde, ne fait aucune différence entre les justes et les méchants; la distinction n'intervient que dans l'au-delà. A cause de cela, l'homme s'enhardit à penser qu'il n'y a pas de Providence ni de justice; il attribue chaque chose à un hasard aveugle, avantageant alternativement justes et méchants.
Il y a une autre pierre d'achoppement pour la réflexion du sage: l'absence de rétribution humilie la justice et la sagesse, mais semble valoriser la méchanceté et la folie; elle en augmente en tout cas la séduction. On peut pécher cent fois et demeurer impuni, aussi la malice est-elle encouragée
(cf Qoh 8:11-12). Cet état de fait rejaillit sur les victimes des agissements malhonnêtes. Qoh n'en est pas encore à parler de l'hypothèse d'une rétribution et ne pense pas pouvoir dépasser les apparences de la mort, avec la dissolution de l'être humain. Il rejette l'idée d'un jugement après la mort qui résoudrait le scandale de la condition terrestre de l'homme. Parce qu'ils n'ont rien à redouter ni en ce monde ni en l'autre, les vivants optent en toute sécurité pour la voie facile du "se laisser-vivre", de l'absence de scrupule. La dernière des "canailles" tant qu'elle vit, est plus avancée que le plus noble des hommes lorsqu'il est décédé. Comme il n'y a qu'une vie et qu'on ne risque rien, autant en profiter aux moindres frais.

Le même sort pour les deux catégories.
v 4
Or seul celui qui rattaché au monde des vivants peut encore avoir de l'espoir : oui, un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.

Rab Alchikh: le chien dans les Ecritures, animal errant et famélique, servile et détestable, est un terme méprisant (1 S 17:43), alors que le lion, animal noble et libre, est le roi des animaux (Prov 30:30). L'homme le plus humble peut grandir en spiritualité, alors que le mort, aussi juste qu'il soit, ne peut plus le faire. C'est pourquoi, la vie la plus méprisable vaut mieux que la mort. Le dicton du chien et du lion exprime l'assurance des vivants qui, tout en se sachant méprisés par les hommes droits, choisissent délibérément d'être mauvais.

v 5
Les vivants en effet savent qu'ils mourront; les morts, eux, ne savent plus rien du tout. Ils n'ont plus rien à attendre
, car les vivants en ont perdu le souvenir

Jonathan: Qoh dit des choses contrairement à la doctrine traditionnelle: Ps 112:6; Prov 10:7; Sir 39:9-11.

Rab Alchikh: les vivants reconnaissent que la mort est inévitable: savoir qu'on va mourir est la preuve concrète qu'on est vivant. Les morts, eux, ne savent plus rien. Ils n'ont plus ni but ni activité ni donc de salaire. Tant qu'on pense encore à eux, ils ne sont pas vraiment morts. Mais quand cette mémoire a disparu, ils sont morts deux fois. Ils ne comptent plus ni aux yeux de Dieu ni aux yeux des hommes; ils sont comme n'étant plus, presque comme n'ayant jamais été. Il est donc trop tard pour eux d'avoir des regrets.
Dans l'opposition qu'il fait entre les vivants et les morts, Qoh ne vante pas la supériorité philosophique des vivants qui savent qu'ils doivent mourir. Il pense que minimiser la mort ou l'escamoter par des doctrines qui inventent pour se consoler une théorie comme celle de l'immortalité de l'âme est un faux-savoir. Il estime simplement que ceux-ci devraient penser constamment au jour de leur mort et se rappeler qu'ils sont dans le monde pour pratiquer la volonté divine. Volontiers conscients de leur destin éphémère, ils vivent néanmoins préoccupés uniquement de leurs affaires et ils meurent sans avoir cherché à comprendre l'enjeu de leur existence. Ils disparaissent sans avoir cherché à mettre en réserve la provision d'huile pour le grand voyage
(cf Dt 32:29; Mt 25:3).

v 6
Et leurs amours et leurs haines et leurs jalousies sont mortes avec eux. Plus jamais ils n'auront de part à ce qui se produit sous le soleil.

Jonathan: morts, plus rien ne les concerne.

Rabbi: une fois disparus, ils ne participent plus à rien; ils sont dorénavant et pour toujours exclus du monde des vivants; ils n'existent plus comme sujets: conscience et mort s'excluent mutuellement; ils sont désormais incapables de haine, de jalousie, d'amour, les passions les plus observées par Qoh, passions qui sont les manifestations de la vie par lesquelles les hommes se posaient les uns en face des autres. Les morts ne goûtent plus rien de la vie; ils sont radicalement incapables de devenir heureux. Leurs noms sont anéantis; leur histoire sombre dans l'oubli.

v 7
Va, mange avec joie ton pain et bois d'un coeur content ton vin, car Elohim s'est déjà montré favorable à tes actions

Jonathan: on ne vit qu'une fois; autant vivre son bonheur simplement.

Rab Alchikh: on n'a donc qu'une seule chance d'être heureux, d'autant plus que Dieu se réjouit du bonheur des humains. C'est dire le prix inestimable et unique de la vie quotidienne et la nécessité de tirer le meilleur parti de l'existence. Il faut prendre tout ce que la vie offre au jour le jour de bonheur. Le véritable bonheur consiste à manger son propre pain, le pain qu'on a gagné à la sueur de son front, même si ce n'est que du pain, c'est-à-dire le strict nécessaire et non le luxe; le pain est la nourriture du pauvre comme celle du riche: le vin est d'un niveau social déjà supérieur. Le bon sens biblique sait donc que l'homme, pour se nourrir, doit travailler: lorsque le pain tombe du ciel, les hommes ne savent pas ce que c'est et ils l'appellent "manne" de "man hoû": qu'est-ce que c'est ?" (Ex 16:15). Et cela ne dure que le temps d'une longue marche dans le désert. Pour le Psalmiste (Ps 128:2), le bonheur domestique consistait en une subsistance large, assurée par le labeur des champs et de bonnes récoltes (Es 3:10): "Heureux le juste, car il se nourrira du fruit de ses oeuvres". Même si ce bonheur terre à terre ne peut toutefois combler les aspirations spirituelles profondes des êtres. Mais il faut mettre des nuances: ainsi Qoh 2:24 dit que le bonheur a une réelle consistance, tout en présentant le défaut d'être anéanti par la mort. Le bonheur implique et inclut les joies de la société; le bonheur c'est de faire tout simplement, sous le regard de Dieu, tous les actes de la vie familiale et sociale, en commençant par la joie de la nourriture et de la boisson.

Epopée de Gilgamesh: "Toi, ô Gilgamesh, remplis ton ventre jour et nuit, réjouis-toi, toi, chaque jour fais la fête, jour et nuit sois joyeux et content! Que tes vêtements soient brillants ! Que ta tête soit lavée, lave-toi avec de l'eau ! Que l'épouse se réjouisse sur ton sein".

v 8
En toute circonstance, revêts des vêtements blancs
(de fête) et n'omets jamais de parfumer ton visage.

Jonathan: voilà à présent le bonheur mode d'emploi.

Rabbi: Qoh recommande de faire de l'existence une fête continuelle. Il faut se conduire comme si on avait toujours des habits blancs et un flacon d'huile sur la tête: à l'occasion des fêtes, on s'habillait de blanc, symbole de pureté et de fête*. Il faut porter "en tout temps" les habits blancs des jours de fête, comme si la vie était une fête perpétuelle pour l'homme heureux (Prov 15:15). L'huile, parfum dont on s'oignait dans les jours de joie** annonçait une ambiance de fête (Ps 45:8).
*Jg 10:3; Es 1:18; Est 8:15; Ap 3:4-5.18
**2 S 12:20; Am 6:6; Ps 104:15; Dt 10:3

v 9
Jouis de la vie avec la femme que tu aimes durant tous les jours de la courte existence que Dieu t'accorde de vivre sous le soleil
. C'est là la part belle qui te revient dans la vie pour le souci qui t'accable sous le soleil.

Jonathan: le bonheur tranquille des petites gens....

Rabbi: oui, après le pain, le vin et le travail bien fait, ennuyeux et facile de tous les jours, clé de tout bonheur domestique, Qoh recommande à un homme de trouver sa joie de vivre en compagnie d'une femme, de sa femme. Il n'y a pas de contradiction avec ce que Salomon dit en Qoh 7:26.28 où l'on condamne la femme dont le coeur est piège et filet. La vie est fugitive, mais elle peut être merveilleuse dans l'amour partagé avec une compagne de choix. Il faut lire Prov 5:18-19: "Réjouis-toi toujours de vivre avec celle que tu as choisie dans ta jeunesse, et rends-la heureuse. Que son corps te comble toujours de joie. Sois sans cesse heureux de son amour". Profite, car la vie est courte, de tous les jours de ta vie.
La sagesse, attribut de Dieu dès le temps de la création, exprimait ainsi l'exubérance de la création, l'effusion de vie et d'énergie dans la nature.
Finalement, la forme véritable de la sagesse dans la vie est la philosophie ou amour de la sagesse créatrice. La forme primitive de la sagesse se développe par une pratique incessante, pour devenir la liberté de mouvement dans laquelle nous ne pouvons plus distinguer le danseur de la danse.
"Gilgamesh, la Vie que tu cherches, tu ne peux la trouver: lorsque les dieux créèrent l'humanité, c'est la mort qu'ils fixèrent aux hommes et la Vie, ils l'ont gardée dans leurs mains ! Toi Gilgamesh, rassasie ton ventre, recherche le plaisir jour et nuit; quotidiennement fais la fête, jour et nuit danse et joue de la musique. Revêts des vêtements propres, que ta tête soit lavée et, toi, baigné d'eau; regarde l'enfant qui te tient la main; qu'une épouse vienne sans cesse se réjouir sur ton sein. C'est cela le lot de l'homme !".

v 10
Tout ce que tu es capable de réaliser tant que tu en as la force, fais-le
. Car là où sont les morts que tu rejoindras un jour, il n'y a plus ni activité, ni raison, ni science, ni sagesse.

Jonathan: la vie, c'est le temps du travail créateur, de l'oeuvre à inventer,

Rabbi: et la mort, celui du temps stérile. C'est pourquoi, quand la mèche est encore allumée, rajoute de l'huile pour qu'elle continue à brûler. Une fois qu'elle s'est éteinte, l'huile ne sert plus à rien. Ce qui veut dire qu'il faut agir tant qu'on en a la force, car on n'a qu'une vie pour réaliser quelque chose et y développer ses capacités de réflexion, d'habileté et d'innovation. Car le bonheur est toujours en relation avec le travail créateur (2:24; 5:17; 8:15); il exprime une certaine fierté de l'oeuvre accomplie. Mais la mort arrache l'homme à son oeuvre en cours et à son pouvoir d'invention. Dans le shéol, les morts mènent une pseudo-existence larvaire, inconsistante, recluse, celle qui est propre aux cloportes ou aux ombres*. Au shéol, les morts sont hors de l'action créatrice de Jahwé et hors du temps historique des hommes; ils deviennent tout autant incapables des devoirs essentiels de louange envers Dieu que de leur tâche d'hommes, oeuvre science et de sagesse.
* Prov 2:18; Ps 88:11: "refa'im" = les spectres

Jonathan: mais cette perspective, loin d'émousser le goût de l'action, doit le rendre efficace.

Rab Alchikh: le récit de Gn 2:1-3 s'achève sur la limitation du "faire", et cette inachèvement, cette contingence, est la marque même de la création. C'est elle qui, paradoxalement, avive et motive la nécessaire initiative créatrice de l'homme. La recommandation ici se ramène à un conseil de prise en charge des réalités matérielles quotidiennes: nous sommes immergés dans un univers matériel, sans cesse accaparés par lui et, que nous le voulions ou non, telle est bien notre condition d'homme: affronter, prendre en charge, organiser, réorganiser au mieux cette vie concrète et pratique qui est la nôtre; faire le travail qui est à portée de main, avec force.

Jonathan: mais peut-on faire tout et n'importe quoi ?

Rab Alchikh: la maîtrise des choses va de la prise en charge de la vie sociale, depuis le développement de la vie relationnelle d'un immeuble jusqu'à l'aménagement du quartier et de la ville; elle va de la maîtrise de la cellule familiale jusqu'à la prise en charge de la vie culturelle, par l'exercice d'un pouvoir de décision partagé avec d'autres, pouvoir sans lequel nous ne sommes plus que des machines. Les centrales atomiques, les volts par milliards, les voitures par centaines de millions, des fusées nucléaires, les satellites spatiaux, sont les productions technologiques d'une civilisation ignifère dont il ne restera rien. Puissance illimitée à partir d'une énergie limitée.
L'image d'un homme fragile et créateur me donne l'idée d'un Dieu de puissance; celle d'un homme debout me donne celle d'un Dieu d'humilité.

v 11
J'ai vu bien d'autres choses encore sous le soleil. Ce ne sont pas toujours les plus agiles qui gagnent la course ni les plus combatifs qui remportent la victoire. Ce n'est pas l'homme sage qui gagne (le plus facilement) son pain, ni l'homme intelligent qui devient (le plus souvent) riche, ni l'homme savant qui est le plus favorisé. Ils sont tous en effet exposés aux mêmes temps et contretemps de la vie.

Jonathan: bien vu. Qoh a le sens du réel et de la situation paradoxale. Après quelques déclarations encourageantes sur la vie, il dénonce ce qui ne va pas dans ce monde.

Rab Alchikh: la vie est pleine de contrastes déconcertants. La Bible mentionne un exemple qui illustre bien cette observation. Assahel (2 S 2:18-23) avait les pieds légers comme des chevreuils, ce qui le rendit capable de rattraper Abner qui, en retour, le tua. Les plus doués manquent souvent leurs objectifs. Les sots mangent le pain en abondance; les impotents et les lâches sont invités à courir; les imbéciles regorgent de richesses; les cancres sont au pouvoir. Ceux qui devraient par droit de naissance ou de compétence occuper les places de leur rang sont noyés dans le troupeau anonyme des sans-voix, des sans-noms et des sans-renom.
Qoh cherche les termes qui évoquent la sagesse, l'intelligence et le savoir-faire; les images du combattant lui viennent à l'esprit: adresse, rapidité d'exécution, énergie, endurance sont des qualités requises pour l'action. On voit aussi la compétence et l'habileté ne pas recueillir les fruits qu'elles sont en droit d'escompter: subsistance matérielle, argent et faveur d'autrui.

v 12
Car l'être humain ne connaît même pas son heure: comme les poissons qui sont saisis au filet fatal, comme les oiseaux qui sont pris au lacet, ainsi les enfants des hommes sont surpris au temps de l'adversité, lorsque celle-ci subitement s'abat sur eux .

Jonathan: c'est le thème de l'adversité imprévisible mais dont il faut toujours faire un paramètre dans l'action. Il semble important pour Qoh.

Rabbi: il n'y a pas de relation de cause à effet entre le travail, l'homme et le résultat. Tout arrive comme cela, selon le temps.

L'explication de tous ces faits, c'est que personne n'est à l'abri d'un contretemps. Le sage emploie une comparaison tirée de la pêche et de la chasse: le piège est aussi fatal pour les oiseaux que le filet pour les poissons. L'homme est pris au dépourvu, autant que le poisson ou l'oiseau au moment de leur capture*. Dire que l'homme ne connaît pas son temps signifie qu'il ignore ce qui lui arrivera, un peu comme en 9:1. Pour un paysan, le contretemps peut être la sécheresse, une invasion de sauterelles, un incendie, une réquisition.

Les braves et les savants sont soumis pareillement aux coups de la mort qui les prendra en traître à son filet.

Si l'homme ne connaît pas son temps, l'heure favorable, l'occasion à saisir, il se fait piéger et son travail devient inutile. Avec la meilleure organisation du monde, du travail et de l'économie, on n'empêchera pas le temps mauvais, la mauvaise fortune ou l'heureux hasard de tomber sur l'homme, comme à l'improviste. Sans égalité de chances, on ne maîtrise pas l'impondérable.
*
sur l'image des "poissons pris au piège", cf Hab 1:14-15; sur celle des oiseaux pris au lacet : Prov 7:23; Am 3:5; Ps 91:3; 124:7.

exemple concret de cette injustice du sort
13 J'ai encore observé un autre exemple de sagesse sous le soleil, et il m'a paru remarquable.

14 Il y avait une fois une ville, petite, avec un petit nombre d'habitants. Un roi puissant vint l'attaquer. Après l'avoir encerclée, il entreprit contre elle de grands travaux de fortifications.

Jonathan: Qoh donne un exemple parlant pour illustrer l'injustice du sort.

Rab Alchikh: la ville était basse et les tours qui furent construites la surplombaient. Depuis ces tours, les envahisseurs pouvaient catapulter de gros rochers et autres projectiles sur la population. La victoire leur était virtuellement acquise. Mais les événements ne suivirent pas cette voie.

v 15
Un homme pauvre mais sage s'y trouvait. Il aurait pu, par sa sagesse, sauver la ville. Mais personne n'eut l'idée de consulter un homme comme lui (ou: il a sauvé la ville par sa sagesse et personne ne s'est souvenu de cet homme; c'était un gueux).

Jonathan: Prov 21:22 dit ceci: "Un homme sage peut aller à l'assaut d'une ville hautement défendue et abattre les fortifications qui donnaient confiance à ses habitants".

Rabbi: la pensée est de même ordre. Un homme pauvre, ne pouvant même pas subvenir à ses besoins, vivait dans une ville. Un jour, la ville fut assiégée et prise par l'ennemi. Après la chute de la ville, le roi découvrit, parmi les survivants, ce gueux qui aurait sauvé la petite cité, si le stratagème qu'il avait conçu avait été adopté.
Mais personne ne le tenait en grande estime. Et tout le monde se demandait, à cause de son extrême dénuement, en quoi il pouvait bien être utile à la société et donner des conseils au pouvoir. Pourtant, l'homme en question était un sage méconnu, dont l'une des qualités était d'être "aroum", avisé. La sagesse l'aurait emporté sur la force.
S'il avait été renommé, il aurait été entendu et suivi; il serait devenu illustre et sa célébrité, lié à son succès diplomatique, eût été ineffaçable. Mais pauvre, ignoré et rejeté, il resta méconnu. On perdit jusqu'au souvenir de ce pauvre hère qui aurait sauvé, par son savoir-faire astucieux et sa connaissance précise des recoins-clés de la ville et de ses habitants. D'un riche, on aurait retenu qu'il fut aussi vertueux. Du meurt-de-faim, on perdit même la mémoire.

v 16
Alors moi, je l'affirme: "La sagesse est préférable à la force. Mais lorsqu'un homme sage est pauvre, les gens le méprisent et ce qu'il dit reste inentendu".

Jonathan: moralité...?

Rabbi: en général, on n'écoute que les gens d'influence et la sagesse d'un homme socialement dévalorisé est méprisée. Pourtant, dans certaines circonstances de désespoir, lorsque les puissants eux-mêmes sont devenus inutiles, le sage peut faire plus que les gens de pouvoir, puisque par sa sagesse seule, non rehaussée par la renommée, peut sauver une ville tout entière d'une invasion. Il faut lire l'incident raconté en 2 S 20, quand Joab poursuivait Chéba, fils de Bikkri, qui s'était rebellé contre David, et qu'une femme de grande sagesse sauva la ville. Son habileté fut donc utile et plus efficace que sa puissance.
On raconte également cette fable:
"Il y avait dans un village un arbre fruitier magnifique. On savait qu'une moitié de l'arbre donnait des fruits de première qualité et que l'autre produisait des fruits empoisonnés. Mais personne ne pouvait dire quelle était la branche de bonne qualité.
Un jour, un enfant, échappant à la surveillance des adultes, prit au hasard un fruit mûr et le dégusta avec délices. Aussitôt, les villageois scièrent la partie opposée censée produire les fruits dangereux et la brûlèrent.
Que pensez-vous qu'il arriva ? Ce fut tout l'arbre qui creva."

v 17
Il vaut mieux pourtant écouter les paroles d'un homme sage qui parle avec calme que les hurlements d'un chef qui s'adresse comme à des fous/insensés.

Jonathan: on se peut pas ne pas songer aux hurlements inefficaces d'un adjudant de quartier.

Rabbi: le conseil sensé d'un homme raisonnable est souvent plus efficace que les ordres militaires, criés dans une situation désespérée, d'un chef tapageur à une troupe sous-équipée; le ton modéré du sage est mieux entendu que les cris d'un chef civil qui s'efforce de dominer le tumulte de ses subordonnés en hurlant au milieu de fous. Cela rappelle Archimède au siège de Syracuse, mais Qoh ne pouvait connaître cette histoire.

v 18
La sagesse est plus efficace que les engins de guerre, mais un seul gaffeur maladroit peut anéantir tout le bien qu'elle procure.

Jonathan: les arbres qui poussent font moins de bruit que les murs qui croulent

Rab Alchikh: mieux vaut sagesse que vaillance. La sagesse est supérieure à la force brutale, même si elle est surnommée bravoure. Elle peut réussir là où le rapport de forces est défavorable*. Malheureusement, les sociétés apprécient les hommes à l'aune de leur fortune et de leur rang dans l'échelle sociale. L'indigent ne sera pas écouté de la classe des dirigeants. Le sage né dans un milieu pauvre ne pourra faire entendre sa voix ni connaître de promotion. Le mépris de la sagesse du pauvre peut devenir institutionnel, donc pervers. Deux enfants de milieux culturels différents n'ont guère les mêmes chances d'avenir.
*cf Akhan en Jos 7; cf 2 S 20; les gens ont plus de sagesse que les guerriers ne possèdent d'armes.

PLATON: le mythe d'Er l'arménien revenu des Enfers (République, livre X).

Il ressort de ce texte que chacun est responsable de sa destinée.

"Quand les âmes furent arrivées, il leur fallut aussitôt se présenter à Lachésis. Et d'abord un hiérophante les rangea en ordre; puis, prenant sur les genoux de Lachésis des lots et des modèles de vie, il monta sur une estrade élevée et cria: "Voici ce que proclame Lachésis, fille de la Nécessité. Ames éphémères, vous allez commencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle. Ce n'est pas un génie qui vous tirera au sort. C'est vous qui allez choisir votre génie. Le premier que le sort aura désigné choisira le premier la vie à laquelle il sera lié par la nécessité. Pour la vertu, elle n'a point de maître; chacun en aura plus ou moins, suivant qu'il l'honorera ou la négligera. Chacun est responsable de son choix. Dieu est innocent".
A ces mots, il jeta les sorts sur l'assemblée, et chacun ramassa celui qui était tombé près de lui (...), et connut alors le rang qui lui était échu pour choisir. Après cela, le même hiérophante étala sur terre devant eux les modèles de vie dont le nombre surpassait de beaucoup celui des âmes présentes. Il y en avait de toutes sortes: toutes les vies possibles d'animaux et toutes les vies humaines; on y trouvait des tyrannies, les unes durables jusqu'à la mort, les autres interrompues au milieu et finissant à la pauvreté, l'exil, la mendicité; il y avait aussi des vies d'hommes renommés soit pour la beauté de leur corps et de leur visage ou pour leur vigueur et leur force à la lutte, soit pour leur noblesse et les grandes qualités de leurs ancêtres. Il y avait aussi des vies d'hommes obscurs, sous tous ces rapports, et des vies de femmes de la même variété. Il y avait aussi des partages moyens entre ces extrêmes (...).
Au moment même où l'hiérophante jetait les sorts, il avait, selon le rapport d'Er, ajouté ces paroles: "Même le dernier venu, s'il choisit judicieusement et s'efforce de bien vivre, peut ramasser une condition convenable et bonne. Que le premier choisisse avec attention, et que le dernier ne perde pas courage". L'Arménien racontait que, lorsque l'hiérophante eut prononcé ces paroles, celui à qui était échu le premier sort, s'avançant aussitôt, choisit la plus grande tyrannie, et, emporté par l'imprudence et par une avidité gloutonne, il la prit sans avoir examiné soigneusement toutes les conséquences de son choix. Il ne vit pas que son lot le destinait à manger ses propres enfants et à d'autres erreurs; mais quand il l'eut examiné à loisir, il se frappa la poitrine et se lamenta d'avoir ainsi choisi , sans se souvenir des avertissements de l'hiérophante; car, au lieu de s'accuser lui-même de ses maux, il s'en prenait à la fortune, aux démons, à tout, plutôt qu'à lui-même (...) .


Enfin l'âme d'Ulysse, à qui le hasard avait assigné le dernier rang, s'avança pour choisir; mais soulagée de l'ambition par le souvenir de ses épreuves passées, elle alla cherchant longtemps la vie d'un particulier étranger aux affaires; elle eut quelque peine à en trouver une, qui gisait dans un coin, dédaignée par les autres. En l'apercevant, elle dit qu'elle aurait fait le même choix, si le sort l'eût désignée la première, et s'empressa de la prendre".

 


Chapitre X

pensées détachées
v 1

Les mouches crevées font de l'huile du parfumeur une putréfaction.
Un grain de folie peut faire perdre son efficacité à beaucoup de sagesse

Jonathan: Qoh propose maintenant une série de réflexions détachées. Il commence par affirmer la disproportion qui existe entre les petites causes et les grands effets. Les LXX ont traduit : "Des mouches infectent la préparation d'huile d'un parfumeur".

Rab Alchikh : une cause infime peut amener la ruine d'un très grand bien. A petite cause, grands effets, souvent. Il suffit de relire les phrases fortes de l'épître de Jacques concernant le feu qui embrase toute une forêt ou le petit gouvernail qui pilote un très grand navire.

Un homme politique, ce n'est pas grand-chose. Mais comme tous les hommes de pouvoir ou d'influence, une décision en apparence anodine peut avoir de terribles ou de grandioses répercussions.

Ainsi une mouche est insignifiante, mais à elle seule, elle peut putréfier toute une mixture; pour qu'elle infecte un vase ou toute une préparation de parfum, il suffit qu'elle y meure. Il n'est pas nécessaire qu'elle soit vénimeuse.

Un rien de folie peut avoir plus de poids qu'une somme inestimable de sagesse. La sagesse peut à tout moment être contrée; la maladresse d'un seul peut réduire à néant tous les efforts et entreprises d'un sage, comme il suffit d'une mouche crevée pour gâter tout un flacon précieux. Ainsi une indiscrétion peut compromettre irrémédiablement une entreprise, alors que le sage avait mis tous les atouts dans son jeu. Les Pères de l'Eglise ont expliqué que les hérétiques sont comme des mouches importunes qui portent la corruption dans les parties saines et qui s'attachent à celles qui sont corrompues.

v 2
L'intelligence d'un homme sage fonctionne adroitement; l'esprit d'un insensé en revanche gauchit tout maladroitement.

Jonathan: il y a des esprits qui font des raisonnements tordus.

Rab Alchikh: Qoh reprend une sentence traditionnelle. Elle est déjà sous-entendue en Qoh 2:13-14. La droite exprime la capacité de l'intelligence, sa clairvoyance et son habileté; elle est du côté du sage qui a l'esprit bien fait. Les projets du sage sont adroits, habiles et sensés, du côté favorable, celui du bon sens et du succès. Les sages sont aussi rares que ceux qui ont le coeur à droite. La gauche exprime la maladresse et l'incertitude. Elle est le côté des insensés et des sots. Le sot, qui a une autre échelle de valeurs, rejette en effet son intelligence au second plan. L'insensé est "gauche", malhabile, irréfléchi, son action va à l'échec.
Le langage populaire parle volontiers d'esprit tordu, fêlé de la cafetière.

v 3
Même lorsque l'insensé marche sur la route, le bon sens lui fait à ce point défaut que tout le monde s'aperçoit qu'il a perdu le sens.

Jonathan: décidément l'insensé est un vrai déviant.

Rab Alchikh: on peut repérer la déviance et la marginalité du fou/ insensé dans tous les secteurs de la vie. Le sot, dans chacune de ses actions, manifeste son manque de bon sens, même lorsqu'il accomplit les gestes les plus ordinaires de la vie, comme celui de faire une promenade. On voit à sa démarche qu'il manque de maturité et d'équilibre. Il suffit d'ailleurs qu'il séjourne quelque court temps dans un lieu pour que très vite on s'aperçoive de ses maladresses et de ses errements. L'insensé se croit sage et traite d'inepte et de béjaune celui qui refuse de suivre ses traces. Il ne réalise pas que c'est lui qui est borné et que les autres sont raisonnables. Seulement son action se déploie au détriment de celle des sages, dont il ne comprend ni ne tolère le comportement.
Un sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, ni ne se lève, ni ne se tait, ni n'est sur ses jambes, comme un homme d'esprit". La Bruyère, Caractères, c 11.

C'est à l'oeuvre qu'on reconnaît l'artisan. C'est au chef-d'oeuvre qu'on reconnaît le maître d'oeuvre.

v 4
Si un supérieur se met en colère contre toi, n'abandonne pas (pour autant) ton poste; car une attitude déférente de sang-froid permet d'éviter des décisions irréfléchies et irréparables.

Jonathan: il faut savoir raison garder devant un homme ou un supérieur en colère

Rab Alchikh: le premier mouvement d'un homme en réponse à la colère est de se mettre lui aussi en colère et ainsi de faire front, violemment, sans maîtrise de soi. Ce comportement peut générer les pires méprises, provoquer les pires malentendus, laisser la porte ouverte à toutes les rancunes et à tous les désirs de vengeance. Il faut donc se prémunir contre la colère du roi ou des princes, car lorsque leur colère éclate, le premier mouvement serait de vider les lieux, soit le lieu où l'on se trouve, soit le poste qu'on occupe. Mieux vaut user de patience sous l'avalanche et ne pas quitter sa place. La réaction violente, sous le coup de l'émotion, de l'ire ou de l'agressivité, inspirerait des paroles et des actes regrettables aux conséquences irréversibles.
Le sage qui a accédé à une haute situation sociale ne doit pas oublier son ancien statut et devenir hautain ou méprisant. Le souvenir de ses origines doit rester le garant de son équilibre et de la maîtrise de soi.

5 Un dirigeant n'est pas à l'abri d'erreurs de jugement. J'ai ainsi observé bien des situations à l'envers sous le soleil.

6 Des sots sont élevés à de hautes fonctions, alors que des hommes de valeur sont maintenus à des situations subalternes.

7 J'ai vu des domestiques se déplacer à cheval (en voiture de luxe) et des personnalités de haut rang marcher à pied comme le personnel de service.

Jonathan: v. 5.6.7. On vit souvent des situations surprenantes dans la vie. On se souvient pourtant de 1 S 2:4-8 (cf aussi, plus tard, Lc 1:52-53) où l'on parle de situations sociales inversées, grâce au Seigneur.

Rab Alchikh: la richesse était signe d'appartenance aux classes supérieures et c'est en leur sein qu'on choisissait les responsables de la cité. Or voici que nous vivons dans un monde à l'envers et en désordre. Le désordre consiste dans le renversement des positions et des situations sociales qui reviendraient normalement au mérite de la naissance ou/et de la fortune ou au succès de l'action entreprise et des risques courus: tandis que les riches sont relégués aux rangs inférieurs, ce sont les insensés qui sont portés au premier rang.
Des hommes compétents demeurent inemployés et se voient préférer des incapables
(ainsi dans les administrations). Le sage de Prov 30:21-23 était désappointé devant trois, voire quatre situations qu'il trouvait renversantes: l'esclave qui devient roi et qui caracole sur un cheval, monture noble réservée aux princes et aux grands; le benêt qui a les moyens de faire joyeuse bombance; la femme odieuse qui réussit à se marier; la servante qui supplante sa maîtresse.
A une époque où le mérite est lié et proportionné à la naissance ou à la fortune, c'est une surprise et presque un scandale de voir les pauvres élevés à de hautes dignités, à la suite d'un succès ou d'une promotion.
Or, semble-t-il, pour Qoh, nul ne peut se fier à sa naissance pour obtenir la fortune ou la position qui lui semble promise.

Théodicée babylonienne

Dès ma prime jeunesse, je me suis tourné vers la volonté de Dieu
en adorations et en ferventes prières, j'ai cherché la déesse
J'ai porté comme un joug une servitude sans profit.
C'est le dénuement que Dieu m'a donné en guise de richesse
un estropié m'est supérieur, un fou me passe devant,
le coquin est au pinacle et moi je suis rabaissé.

La dangerosité de la vie quotidienne
v 8
Celui qui creuse une fosse prend le risque d'y tomber,
Celui qui démolit un mur de pierres sèches prend le risque d'être mordu par un serpent.

Jonathan: Qoh est un fin observateur de la vie quotidienne; il relève qu'il y a des risques partout. Veut-il parler de l'inutilité des efforts en vue de s'assurer un résultat permanent ?

Rab Alchikh: il faut lire Prov 26:27a; Eccli 27:26a; Ps 7:16: "Celui qui complote contre son prochain tombera lui-même dans son propre piège".
Celui en effet qui pratique une brèche dans le mur de son voisin, l'exposant ainsi aux voleurs, sera lui-même mordu par des serpents
(cf la morsure des serpents: Am 5:19), et ne pourra pas pénétrer dans ce champ. Ou celui qui perce une ouverture dans un mur, de sorte que les serpents qui se nichent dans les lézardes peuvent sortir de leur trou et mordre les autres sera lui-même mordu. Derrière l'apparence d'un retournement de situation, il y a l'affirmation pénétrante d'une sorte de justice immanente: celui qui veut faire le mal prépare, à terme, directement ou indirectement, les armes qui se retourneront contre lui même.

v 9 Celui qui arrache des pierres dans une carrière risque d'être blessé par elles,
celui qui fend du bois est en situation de danger.
10 Si on n'aiguise pas une lame dont le tranchant est émoussé, il faut alors d'autant plus de force
pour en faire usage.
C'est donc faire preuve de sagesse que de l'affûter correctement
.
11 Si le charmeur se fait mordre par le serpent, à quoi bon sa faconde incantatoires ?

Jonathan: Qoh est un homme qui a les pieds sur terre. Il se rend compte, dans les vv 8-11, que ce ne sont pas seulement les actions extraordinaires qui constituent un danger; ce n'est pas tous les jours en effet que l'on creuse une fosse ou que l'on démolit un mur.

Rab Alchikh: bien sûr. Mais l'existence est pleine de dangers potentiels, le risque d'accident est permanent et universel, les activités ménagères et professionnelles, les métiers et le travail ordinaire de la vie quotidienne comme extraire des pierres ou fendre du bois, cuire le pain ou puiser de l'eau, nous le rappellent constamment. Le danger nous entoure et nous menace. Les artisans les plus habiles sont à la merci d'un accident de travail, par suite des risques du métier et/ou d'une défaillance passagère, d'une inattention ou d'un incident mécanique.
La sagesse, dans ces circonstances, a un rôle prévoyant et protecteur. Le sage est celui qui est conscient de ces dangers prévisibles et qui, vigilant, sait les prévoir, les calculer, les prévenir et s'en prémunir. Lorsqu'ils se produisent, il sait en rechercher la cause dans l'incompétence de l'ouvrier qui n'a pas réparé son outil ou dans celle du charmeur* qui n'a pas su exercer son art
. Le bûcheron comme le charmeur de serpents, lorsqu'ils échouent, ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes.
Prévoyance-vigilance et prévention sont donc les deux vertus de la vertu de sagesse.
Il faut donc développer ses capacités, acquérir une compétence, l'exercer résolument. C'est la voie de la réussite, en dépit des revers toujours possibles.

*charmeurs: Jr 8:17; Sir 12:13; Ps 58:6..

v 12a
Les paroles prononcées par l'homme sage lui concilient l'approbation bienveillante, (12b) tandis que celles dites par l'homme insensé attirent sur lui la déconsidération.

v 13
Il commence par dire des paroles extravagantes et finit par émettre des insanités malfaisantes.

Jonathan: les conseils qui suivent, sans suite, sont comme des proverbes. Les vv. 12.13.14 comparent la parole du sage et celle de l'insensé. Au v 13, Qoh s'acharne sur l'insensé, disant que les discours de sa bouche sont sottise.

Rab Alchikh: l'insensé est sans doute un méchant et un impie, et le sage un homme vertueux et religieux*. Le sage, s'il ne doit pas renoncer à agir, ne doit pas non plus renoncer à parler. Tout ce qui sort de sa bouche est mesuré et constructif, alors que le sot se détruit par ses propres paroles. Les mauvais conseils qu'il donne et les décisions irréfléchies qu'il prend le déconsidèrent; ses triomphes sont de fausses victoires. Il s'épuise dans ses entreprises faute d'organisation, de prévision et de compétence.
* Ps 14:1; Prov 2:10s; 7:6s; Dan 11:33.35; 12:3.10.

Au 16ème siècle, Erasme, dans son "Eloge de la folie", écrivait le contraire: "Les bouffons ont seuls le droit de parler sincèrement. Quoi de plus estimable que la vérité ? On l'attribue ordinairement au vin et à l'enfance: c'est ne point s'y connaître. Chez celui qui a l'honneur d'être fou, l'esprit, le coeur, le visage, la bouche, tout est d'accord. Les Sages ont deux langues: l'une pour dire ce qu'ils pensent; l'autre pour parler selon le temps; ils ont, quand il leur plaît, le talent de blanchir le noir; ils soufflent le chaud et le froid".

v 14a
Et l'homme insensé ne peut plus s'arrêter de parler.

Jonathan: le v 12a s'accorde mal avec la manière de voir exprimée en Qoh 9: 11 et 16.

Rab Alchikh: Prov 15:2 présente une pensée analogue à celle du verset 13, qui continue, avec 14a, le verset 12b. C'est une sentence d'ordre général comme toutes celles qui roulent sur la sagesse et la folie.
Les paroles du sot n'ont ni queue ni tête, elles commencent dans la sottise et finissent dans la démence. Elles sont un gouffre de non-sens. Le sot dégoise des inepties qui déplaisent à la fois aux hommes et à Dieu. Non content de dire des choses insensées, il n'arrête pas de jacasser, discutant de tous les problèmes, même de ceux qu'il ignore complètement, comme les choses du futur. Il aime à se vanter, comme si l'action était totalement sous son contrôle et sous son initiative.

v 14b
L'homme ne peut savoir ce que lui réserve le futur.
Qui en effet peut lui donner des révélations sur ce qui adviendra après lui ?

Jonathan: Qoh reste à ras de terre; on peut risquer un conseil, un avis, pas un ordre ni un impératif. La prévoyance est une vertu, la prévision du futur une ascèse, car l'homme n'est en aucun cas maître du futur.

Rab Alchikh: voilà encore un aphorisme d'ordre général qui sert de base à la philosophie pratique de Qohelet (cf 3:22; 6:12; 7:14; 8:7). Cette pensée n'a de rapport ni avec les critiques adressées au gouvernement dans 5-7 (de Qoheleth), 16-17 (des sages) ou les avis sur la conduite à tenir envers le prince (4:20 des sages), ni avec les sentences relatives à la sagesse et à la sottise (10-14a,15, des sages) qui l'encadrent maintenant. Mais elle se rattache d'une façon directe et étroite aux idées exprimées par Qoheleth dans 9:11c-12; 10:8-9; 11:5.

Jonathan: qu'est-ce que la vraie sagesse ?

Rab Alchikh: la sagesse est avant tout reconnaissance de toute finitude. C'est dans la finitude que l'homme doit se trouver lui-même, dans sa vérité, sa réalité, et y trouver sa raison d'exister et de vivre. Cette finitude affecte le passé aussi bien que l'avenir; le passé, car il ignore ce qui a été; l'avenir, car nul ne peut lui indiquer ce qui arrivera et ce que sera demain; c'est l'incertitude majeure, la barrière intolérable et infranchissable de l'heure qui vient (cf 6:12). Demain, un nombre de données auront changé et je ne puis le prédire; je n'en serai pas l'auteur. Mes actes ont des conséquences, et je ne puis les prévoir; je n'en suis pas le maître. Comme je ne puis savoir ce que demain sera, je ne puis en tirer les données pour ce que j'ai à faire aujourd'hui. Donc je ne puis savoir réellement ce qui est finalement et réellement bon pour l'homme pendant sa vie. ll n'y a qu'un sot pour prétendre faire des plans à plus ou moins longue échéance.

Jonathan: à partir de la notion de finitude, faut-il refuser toute idée et toute systématique sur le futur ?

Rab Alchikh: le futur n'est ni programmé ni programmable ni préétabli de toute éternité. L'homme préhistorique était incapable de prévenir l'avenir par manque de données; l'homme moderne ne peut programmer l'avenir par excès de données: ni par la prospective des futurologues ni par la planification des prévisionnistes. Aucun plan ni en Chine, ni en ex-URSS, ni en France ni à Cuba n'a jamais été réalisé. Toutes les études scientifiques de prévision se sont révélées inexactes à l'expérience. Tous les calculs d'EDF ayant calculé la consommation des français en l'an 2000 par simple extrapolation des données des années 50-60 sont fausses: on a plus d'électricité que de besoins. En 60, on n'a pas prévu le développement de l'informatique. Personne ne prévoyait la chute proche du mur de Berlin ni le naufrage du communisme. Nous ne sommes pas mieux éclairés au sujet de l'avenir que l'homme du Vème siècle avant JC. L'avenir est bouclé. Rien n'est écrit par avance. Le temps est un espace où la nouveauté est possible, jamais prévisible. Ce qui advient est un enchevêtrement du passé, du présent et de futur. Il n'y a pas de lendemain déjà écrit; le lendemain se créera de lui-même. Seul Dieu crée du nouveau; l'homme n'est en rien nouveau et, au sens strict, ne fait rien de nouveau. On ne peut connaître l'avenir terrestre de l'homme que dans le projet et la promesse d'avenir absolu de Dieu. Un Dieu libre, sans plan, vit avec ce que font les créatures libres, il donne du jeu à la création; en dehors de quoi, pour l'homme, il n'y a pas de prise directe sur le temps à venir, ni par la divination ni par la voyance ni par la magie.

Jonathan: le prophète biblique voyait venir l'événement. Il annonçait ce qui devait arriver vite, ce qui allait se produire si....Il avait la clairvoyance de la situation présente et à venir.

Rab Alchikh: c'est de la révélation divine qu'il tenait cette clairvoyance et de l'événement qu'il tirait le discernement. Les catastrophes annoncées disaient le châtiment de Dieu inscrit dans le désordre provoqué par l'injustice des hommes et espéraient à partir de là la conversion, le changement de la vision des choses. La punition de Dieu n'est rien d'autre que ceci: il suffit de laisser les hommes faire ce qu'ils font, qu'ils continuent. La colère de Dieu n'a rien à ajouter au mal réciproque que les hommes se font. C'est toujours l'homme qui est l'expression de la colère de Dieu. Si l'homme change de conduite, l'événement négateur ne se produit pas, la colère de Dieu s'efface. L'action du prophète a été d'annoncer la menace et d'amorcer la conversion. Dieu reprend les choses à zéro. Il intervient pour donner du jeu dans l'enchaînement des choses et des causes. Il est un pédagogue qui agit non sur les lois de la nature, mais, par le dialogue avec l'homme, sur la raison des choses..

v 15
L'homme insensé se fatigue beaucoup pour peu de peine, lui qui ne sait même pas trouver son chemin pour aller à la ville.

Jonathan: le sot est tout ensemble un imbécile et un fainéant qui, trop paresseux pour sortir, dit: "Il y a un lion dehors; je pourrais être tué en pleine rue" (Prov 22:13). Il s'occupe de questions complexes, alors qu'il ne comprend pas les choses simples et évidentes.

Rab Alchikh: c'est vrai, l'insensé est à ce point dénué d'intelligence qu'il est comparable à ceux qui se rendent dans une ville et qui n'en connaissent pas le chemin; il n'est même pas capable de trouver sa route sans peine alors que tout le monde, jusqu'au plus simple d'esprit, perdu au fond de son village, en sait la direction et la prend; c'est là une expression railleuse qui rappelle la nôtre: incapable par maladresse de distinguer la droite de la gauche. La force désordonnée ne remplace pas le savoir-faire.
Il erre donc en essayant de trouver la bonne direction; pour cela, il emprunte de nombreuses routes et se fatigue sans atteindre le but. Au plan philosophique, ce verset se rapporte à celui qui suit un système de pensée et qui l'abandonne ensuite parce qu'il y a découvert un défaut. Il se rabat sur un autre système et encore un autre, les abandonnant un à un, parce qu'il ne sait ni ne trouve ce qu'il cherche. Une telle personne est comparable à celle qui désire se rendre dans une ville, mais ne connaît pas la route qui y mène. De ce fait elle essaie de nombreuses routes. Le comble de l'ironie, un voyageur peut être guidé convenablement s'il demande son chemin. Inversement, le sot persiste dans sa bêtise jusqu'à l'épuisement parce qu'il refuse de consulter le sage et n'en fait qu'à sa tête.

v 16
Quel malheur pour toi, pays, dont le prince
se comporte comme un adolescent et dont les ministres passent leur temps à festoyer dès le matin !

Jonathan: vaut-il mieux être gouverné par un adolescent capable ou un prince corrompu ?

Rab Alchikh: malheur au pays et à la ville dont les responsables ne sont préoccupés que de leurs plaisirs et qui négligent, par immaturité, par esprit dispendieux ou par inconscience, la gestion publique saine et honnête de leur cité. La jeunesse du roi est plus une question de comportement que d'âge. Le souverain qui n'est pas à la hauteur de sa tâche est à la remorque de son entourage et n'arrive pas à s'émanciper pour affirmer son autorité et assumer ses responsabilités.
Sa première préoccupation n'est pas la bonne marche de l'Etat, mais son propre bien-être. Il s'amuse alors qu'il devrait s'atteler aux affaires courantes. Lorsque les gouvernants ne songent qu'à profiter de leurs avantages matériels et de leur situation, sans travailler au service du pays, le bonheur des citoyens est compromis et leurs efforts réduits à néant.

Jonathan: Osée a connu les orgies nocturnes de la cour de Samarie (Os 7:3-7). le prophète qui s'exprime en Es 56:9-57:2 stigmatise l'inertie, la débauche et l'incurie des autorités de la province.

Rab Alchikh: Esaïe annonçait déjà ceux qui courent dès le matin après les boissons fortes (Es 5:11). Heureux pays dont les députés travaillent matin, midi et soir pour le bien du peuple, conformément aux déclarations de Jr 21:12 souhaitant que   les rois de la maison de Juda réservent les heures matinales à rendre une vraie justice et à arracher les pauvres à des exploiteurs sans foi ni loi .
Devant l'anarchie et les injustices criantes qui règnent au royaume de Juda, Dieu promet de délivrer le pays de ses dignitaires, de ses troupes d'élite et de ses experts pour le confier à des gamins capricieux, dénués d'expérience et d'autorité et à la foire d'empoigne des intrigants
(Es 3:4). Le malheur se complique si les grands qui devraient suppléer la carence royale profitent de l'occasion pour se livrer à la débauche.

v 17
Quel progrès pour toi, pays dont le prince est de noble naissance et dont les ministres prennent leur repas à des heures convenables, pour reprendre des forces et non pour faire ripaille !

Jonathan: voilà un portrait de grande dignité...

Rabbi: et de haute noblesse. On rencontre le même terme que dans Néh 2:16: "Ceux qui agissent avec grandeur". Ces dirigeants s'engagent dans la recherche acharnée de la sagesse et de la compréhension plutôt que dans la boisson et les saturnales. Leur véritable force, c'est qu'ils contrôlent leurs passions.
Le roi, fils de nobles, ne connaît ni l'avidité ni la hauteur des parvenus.
C'en est fait d'un roi ou d'un pays si ses conseillers sont des viveurs intempérants et indécents. Le pays s'ouvre au contraire une période de prospérité si les princes sont des modèles de sobriété.

v 18
La terrasse s'effondre sur celui qui est trop paresseux pour en réparer les solives, les eaux de pluie suintent dans la maison de celui qui reste les bras ballants

Jonathan: les choses mal faites se vengent d'elles-mêmes (cf Prov 10:4).

Rabbi: en Palestine, les maisons n'étaient pas recouvertes d'un toit à pente forte, mais seulement d'une terrasse*, reposant ordinairement sur des solives. La couverture était généralement peu solide (Mc 2:4; Lc 5:18-19). Si l'on néglige d'entretenir sa maison, celle-ci s'abîmera en commençant par la partie la plus vulnérable, le toit, et surtout si les solives avaient fléchi, l'eau s'écoulait dans la maison dès l'arrivée de la saison des pluies**. Les infiltrations de la pluie achevaient sa destruction et en tout cas la rendaient inhabitable.
Ce proverbe à deux volets, sentence empruntée à la tradition, est une condamnation générale de la paresse. Bien qu'il traite d'une maison qui se détériore à cause de la paresse et de l'avarice de son propriétaire, le contexte invite à voir dans ces deux phrases un commentaire du verset 16: la paresse et l'irresponsabilité des gouvernants causent la ruine du pays. Le mot "maison", qui désigne parfois un peuple
(maison d'Israël) ou un "pays" (maison de Jahwé)*** symbolise ici l'Etat. Les rois qui "dînent le matin" et qui négligent les affaires de l'Etat, ressemblent à cet homme paresseux et désinvolte: à cause de leur incurie, la gestion de l'Etat et de la vie de la cité est vouée à la ruine et au désastre.
* Jos 2:6 ; Dt 22: 8; 2 S 11: 2
**Prov 19:13; 27:15.
***Os 8:1; 9:15; Jr 12:7

v 19
Les gens de classe organisent des dîners pour se divertir; le
(bon) vin égaye leur existence et, avec de l'argent, ils peuvent tout se permettre.

Jonathan: Qoh n'est pas tendre pour les parvenus.

Rabbi: en réalité, il blâme la conduite dissipée des gouvernants oisifs et débauchés, qui disposent pour leurs plaisirs et leur divertissement des deniers publics. L'argent, en soi, n'est rien. Mais comme il y a un lien étroit entre la valeur vénale de l'argent et la réussite professionnelle des ambitieux, il permet tout et rien n'échappe à son pouvoir: avec lui, on peut tout acheter et tout posséder.
La vie des parvenus et des princes est d'autant plus facile qu'ils vivent, en les gaspillant, sur les comptes de l'argent public et aux dépens de la pauvreté d'autrui. Il s'agit des mêmes dirigeants rencontrés dans le verset précédent, ceux qui négligeaient leur maison, les affaires de l'Etat.
Mais l'argent nous échappe comme le temps. Accumuler de l'avoir, c'est perdre son être: plus tu augmentes ton avoir, moins tu es.

v 20
Néanmoins, même dans ta pensée, ne critique pas le monarque, et dans les alcôves de ta vie privée, ne dis pas de mal du riche.
Car un oiseau du ciel pourrait colporter tes paroles et la gent ailée ébruiter tes propos.

Jonathan: le scandale de la vie privée des princes ne doit pourtant pas porter à la critique.

Rab Alchikh: il faut lire Juvénal (Sat IX,95s); Aristophane, (les Oiseaux, 49-50): "La corneille depuis longtemps me signale quelque
chose là-haut";
(601) "Personne ne sait où est mon trésor, si ce n'est sans doute quelque oiseau".
"Les murs ont des oreilles" est une formule souvent entendue en temps de guerre et de contre-espionnage. Et les grandes personnes ne parlent-elles pas souvent aux enfants du petit oiseau qui leur révèle leurs secrets ? L'ironie consiste à dire que tout se sait et que la gent ailée répète tout.
Qoh, après avoir critiqué l'extravagance arrogante des rois débauchés, recommande une extrême prudence dans les manifestations de mécontentement contre les responsables politiques d'un pays. Même dans l'intimité de la propre chambre à coucher, où l'on est persuadé que personne n'entend ce qu'on dit, il ne faut pas maudire à haute voix ou critiquer les riches influents ou les gens de la classe dirigeante à tort et à travers, parce que les murs ont des oreilles et que l'oiseau peut colporter la critique: on peut toujours être trahi et ces gens de haute situation ont d'habitude les moyens les plus redoutables pour se venger. La nature est complice de cet universel cafardage. On ne sait jamais comment les rumeurs parviennent jusqu'en haut, mais on peut être sûr qu'elles y parviendront. Il faut se souvenir de l'histoire du barbier du roi Midas.
Devant pareille situation, le sage est une nouvelle fois impuissant et ne peut que ronger son frein. Il faut donc être prudent voire méfiant, vis-à-vis du roi, des autorités, des gens de notre entourage immédiat ou lointain. Et deux précautions de réserve et de silence valent mieux qu'une. Il n'y a pas de secrète pensée qui ne se manifeste de quelque manière, quelque part.

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