Cantique des Cantiques
traduit et commenté par
camille-paul cartucci, metz 1995
POEME 5 Ct 6:4-8:4
(lui)
Que tu es belle, ma chérie,
Belle comme Tirça,
Ravissante comme Jérusalem,
Troublante comme un mirage.
Détourne de devant moi tes yeux,
Vraiment, ils m'envoûtent.
Tes cheveux ondulent comme un troupeau de chèvres noires
accrochées à la montagne de Galaad.
Tes dents, deux à deux, comme un troupeau de brebis tondues
qui remontent du point d'eau; aucune ne manque.
Derrière ton voile, tes pommettes ont la couleur rouge
d'une tranche de grenade.
Il peut y avoir soixante reines, quatre-vingts concubines
et des jeunes filles sans nombre,
Mais elle, ma colombe, mon parfait bonheur, est unique.
Elle, elle est unique pour sa mère;
elle est la préférée de celle qui la mit au monde.
Les jeunes filles la regardent et lui font des compliments,
Les reines et les concubines chantent ses louanges.
(choeur)
Qui est celle-ci qui apparaît comme l'aurore,
Belle comme la lune, étincelante comme le soleil,
Redoutable comme une armée rangée en bataille?
(lui)
Je suis descendu au verger des noyers
Pour voir les jeunes pousses du torrent,
Pour voir si la vigne avait des bourgeons
Et si les grenadiers étaient en fleur.
Je ne me reconnais plus. Tu me troubles jusqu'au vertige,
fille de noble race.
(choeur)
Reviens, reviens, fille de paix,
Reviens, reviens que nous te regardions.
Pourquoi regardez-vous la fille de paix
En train de danser la danse en deux groupes des mariages ?
(lui)
Comme ils sont beaux tes pas, dans tes sandales,
toi fille de noble race.
Les rondeurs de tes cuisses sont comme des joyaux
modelés par les mains d'un artiste.
Ton nombril forme un cratère arrondi
où l'eau-de-vie de vin parfumé ne manque pas,
Ton ventre, un amas de froment au milieu des lys.
Tes deux seins ressemblent à deux faons, jumeaux d'une chevrette.
Ton cou ressemble à une tour d'ivoire.
Tes yeux sont comme les piscines de Heshbon,
près de la porte de Bath Rabbim.
Ton nez est aussi gracieux qu'une tour du Liban,
veilleur face à Damas.
Ta tête, posée sur tes épaules, est fière comme le Mont Carmel.
Les boucles de tes cheveux ont des reflets de pourpre.
Un roi serait séduit par de tels atours.
Que tu es belle et fascinante, ô amour, dans ces délices !
Cette taille te fait ressembler à un palmier
Tes seins sont comme des grappes.
Je me suis dit: "Il faut je monte au palmier pour en saisir les régimes.
Que tes seins soient pour moi comme des grappes de raisin.
Et le parfum de ton haleine fleure bon comme celui des pommes,
Ton palais comme un vin exquis ! ".
(elle)
Il va tout droit, ce vin, à mon bien-aimé,
Il coule sur les lèvres de ceux qui sont assoupis.
Moi, je suis à mon bien-aimé
Et son désir se porte sur moi.
Viens-t'en mon amour. Sortons à la campagne,
Passons la nuit dans les villages (cf Ct 1,14) (ou dans les vergers)
De bonne heure, allons dans les vignobles,
Pour voir si la vigne a des bourgeons,
si ses pampres sont en sève,
Et si les grenadiers sont en fleur.
Et là je te donnerai mes étreintes.
Les mandragores exhalent leur parfum,
A nos portes, il y a toute sorte de fruits exquis,
des nouveaux et aussi des vieux.
Mon amour, je les ai réservés pour toi.î g l o g u e
8,1
Ah, que ne m'es-tu un frère,
un frère qui aurait tété les seins de ma mère,
Je pourrais te rencontrer dehors, je pourrais t'embrasser,
sans que les gens n'y trouvent à redire.
Je te conduirais, je te ferais entrer dans la maison de ma mère,
Et tu m'initierais.
Je te ferais boire du vin d'arôme et de ma liqueur de grenades.
Sur son bras gauche repose ma tête et son bras droit m'enlace.
(lui)
Je vous en conjure, filles de la Ville ,
N'éveillez pas, ne réveillez pas mon désir
Avant l'heure de son bon plaisir.
POEME 5 Ct 6:4-8:4
Commentaire
6:4-7:10 l'Unique: le voici précisément, il fait un discours, non pas un mot ou deux, mais le long discours d'une personne vivante, qui rappelle 2,10-14. Il accumule les termes de tendresse envers une fille qui est (ou qu'il voit) physiquement parfaite; il lui retourne ses compliments en une description laudative, une espèce de musique qu'on regarde avec les oreilles et qu'on écoute avec les yeux.
6,4
Que tu es belle, ma chérie,
Belle comme Tirça,
Ravissante comme Jérusalem
Troublante comme un mirage.
Les villes sont là pour décrire la beauté de la fille, la
puissance irrésistible de ses charmes de magicienne et la séduction redoutable de son
regard (cf 4:4).
Tirça, vieille ville cananéenne (Jos 12:24), veut dire "elle est
agréable"; "plaisante". Résidence ordinaire de Jéroboam I (1 R 14:17),
elle a été érigée en capitale du royaume du Nord au moment du schisme. Elle l'est
restée jusqu'à Omri, qui la quitta après six années pour s'installer à Samarie qui
venait d'être bâtie (1R 16:23s). C'est aussi un nom de personne*.
Jérusalem fut, quant à elle, une des plus belles villes d'Orient et considérée
comme la mère des autres villes.
* Nb 26:33; 36:11; Jos 17:3
v 5
Détourne de devant moi tes yeux
Vraiment ils m'envoûtent.
Tes cheveux ondulent comme un troupeau de chèvres noires
accrochées à la montagne de Galaad.
Les yeux de la fille sont ensorcelants, qualificatif qui a la même
racine que Rahab, la bête primordiale (Es 30:7), le monstre mythologique.
L'intensité d'amour des regards ravissants de la fille, le sortilège de ses yeux
jette sur le garçon un sort fasciné et éveille chez lui des sentiments et des émotions
qu'il a du mal à contenir. Il la supplie de détourner des yeux qui "donnent
l'assaut". Ce sera le seul éloge des yeux dans ce tableau de la beauté physique.
La chevelure noire, épaisse, flotte sur les épaules.
v 6: cf Ct 4:2
v 7
Derrière ton voile, tes pommettes ont la couleur rouge
d'une tranche de grenade.
Les répétitions sont dans le style du Cantique: les sentiments passionnés des jeunes s'expriment plusieurs fois dans les mêmes termes: cf 4, 3b.
v 8
Il peut y avoir soixante reines, quatre-vingts concubines
et des jeunes filles sans nombre.
L'évocation d'un harem imaginaire pour faire ressortir la beauté
unique de la femme s'inspire de 1 R 11:3 qui décrit le harem de Salomon et qui fait
allusion aux harems populeux de l'Orient. Salomon disposait de 700 femmes de rang princier
et de 300 esclaves concubines (Dt 21,10-14); ici, on parle de 60 et de 80, ce qui est
encore considérable*.
Dans l'Antiquité, c'est d'après la richesse de son harem qu'on évaluait la
richesse d'un souverain. Celui de David se composait de sept femmes (1 Ch 3,1-8) et de dix
concubines (2 Sam 15:16); celui de Roboam se chiffrait par 18 femmes et 60 concubines (2
Ch 11:21). Les chiffres s'élevaient dans la proportion de la puissance du roi, de ses
alliances, des peuples tributaires qu'il tenait sous son autorité. Certains rois perses
et arabes possédaient des harems prodigieux. Dans ces conditions, la donnée de 1 Rois
s'explique et celle du Cantique n'a rien d'exagéré.
Ici, il n'y pas allusion au Salomon de l'histoire. Le rapport avec 1 R 11:3 est
purement littéraire. Le nombre surprenant de reines, inconnu dans les annales de
l'Orient, n'est qu'une simple supposition, énoncée à la manière sémitique: les
reines, fussent-elles au nombre de 60, et les épouses au nombre de 80, toi, ma
bien-aimée, tu es ma seule colombe et tu es incomparable. Salomon ne peut prétendre
avoir en son harem la plénitude de l'amour que "mille" représenterait. Le
pâtre du Cantique a cette plénitude avec sa seule fiancée. La nuée de filles qui
tournent autour du garçon et dont la fille se méfie depuis le début n'est qu'une nuée
de prétendantes capricieuses et volages.
*"60": le système duodécimal apparaît très important chez les Hébreux par
l'emploi des chiffres 12, 60 et leurs multiples ou leurs divisions. "Soixante"
est un attribut: ce sont les reines; "quatre-vingts": ce sont les maîtresses.
v 9
Mais elle, ma colombe, mon parfait bonheur, est unique.
Elle, elle est unique pour sa mère.
Elle est la préférée de celle qui la mit au monde.
Les jeunes filles la regardent et lui font des compliments.
Les reines et les concubines chantent ses louanges.
La fille est louée par celui qu'elle aime, par sa mère, et même
par les plus grandes dames.
Elle est unique en elle-même, donc incomparable (ma colombe = ma toute belle
(1,15; 2,14; 4,1). Elle est aussi unique pour sa mère: cela ne signifie pas qu'elle soit
son seul enfant/fille, mais elle est appréciée, aimée et préférée comme si elle
l'était; elle est comme Perséphone qui était, elle aussi, unique pour sa mère qui la
donnera à son fiancé, et non pas aux enfers. L'auteur s'inspire de Pr 4:3: "J'ai
été un fils pour mon père, tendre et unique près de ma mère" (cf Gn 22,2).
De la race des élites*, elle est la plus resplendissante de toutes les filles;
elle surpasse toutes les concubines du harem; comblée, elle reçoit leurs compliments (cf
Prov 31:28).
Il y a, ici, plus que le harem, comme il y avait, là, plus que Salomon.
*"barour" en vient à signifier ce qui est choisi, une élite (1 Ch 7,40; 9,22;
16,41; Ne 5,18,
v 10
Qui est celle-ci qui apparaît comme l'aurore
Belle comme la lune, étincelante comme le soleil
Redoutable comme une armée rangée en bataille.
Le choeur, fort opportunément, développe le thème de la louange
du verset 9, pour éviter la monotonie. Il fait probablement une citation implicite de
l'éloge que font de l'héroïne ces dames en choeur distingué.
En Orient, le soleil est roi et la lune est reine: ces astres, sources de lumière
et de vie, font l'objet d'une vénération considérable à cause de leur puissance, de
leur majesté et du rôle capital qu'ils exercent dans l'histoire des humains (Es 30:26).
La beauté de la fille shoulamite est comparée à un lever d'astre dans le ciel; comme le
soleil, elle surgit, étincelante, à la naissance du jour; comme la lune, elle a la
clarté extraordinaire et la magnificence limpide des nuits orientales de pleine lune*;
cette clarté qui se détache sur la profondeur du ciel qu'elle augmente de sa splendeur
et de son éclat.
Elle est imposante comme les corps de troupes des tribus par le respect qu'ils
imposent.
*Jb 31,26; Sir 50,6
v 11
Je suis descendu au verger des noyers,
Pour voir la verdure de la vallée
Pour voir si la vigne avait des bourgeons
Et si les grenadiers étaient en fleur.
C'est le garçon qui parle. C'est lui qui descend au jardin pour
voir si la végétation pousse. Le jardin oriental est un verger où se cultivent la vigne
et les arbres fruitiers, comme les grenadiers, les noyers, etc. Le noyer, peut-être
importé de Perse, se rencontre près des sources et des torrents de montagnes.
Tous les jardins du Cantique (jardin des grenadiers (4,13); jardin des baumiers
(4,14); jardin où l'on mange le miel (5,1); ici jardin des noyers) forment un même
paradis de délices. Le jeune homme est impatient de constater les premiers signes du
printemps dans les jeunes pousses de la végétation qui surgissent dans les creux de
terrain où l'eau n'est pas loin. Même si le cours d'eau de la vallée est à sec, le
sous-sol humide permet à la végétation de se développer.
Les arbres (des fleurs qui ont réussi), les fruits et les parfums du jardin sont
autant de symboles des charmes et des atours de la jeune fille. Le poète passe de la
fille à sa poitrine, du fruit qui fait image à l'arbre qui fait symbole. La floraison
des grenades correspond à l'épanouissement des seins et à l'érection de la pointe des
tétons.
Le chéri veut voir si le corps de la fille, qu'il aime passionnément, bourgeonne.
Il veut en jouir. Toute la puissance amoureuse de son être est exprimée dans cette
passion.
v 12
"Je ne sais, mais mon être m'a mise aux chars de mon peuple prince" (Chouraqui)
"Je ne savais pas qu'on me mettrait moi-même sur les chars de mon peuple noble"
(Pléiade)
"Je ne reconnais pas mon propre moi; il me rend timide, bien que fille de nobles
gens"(Tob)
"Je ne sais, mais mon désir m'a jetée sur les chars d'Aminadab"(BJ) de mon
noble peuple.
La maison d'Aminadab où se trouvait l'arche était sur la hauteur. Peut-être une allusion à 2 S 6:3 où le char qui porte l'arche de Dieu est dit sortir de la maison d'Aminadab sur un chariot neuf..
7:1
Reviens, reviens, fille de paix
Reviens, reviens que nous te regardions.
Pourquoi regardez-vous la fille de paix
En train de danser la danse en deux choeurs des mariages ?
Il n'y a aucun lien avec ce qui précède. Pour la première fois,
le choeur ne semble pas hostile; la répétition quadruple de l'invitation:
"Reviens" exprime la tension amoureuse qui anime le chéri. Celui-ci désigne sa
fiancée sous le magnifique surnom de "shulamite": celle qui est dotée de la
paix, c'est-à-dire de l'ensemble des biens désirables et, en priorité, pour une femme,
de la beauté et de la séduction (cf 1 R 1:3s).
Le pronom personnel inclusif : "Nous" implique les spectateurs de la
danse dont il va être question.
"Dans les mariages du Hauran, le soir, à la lueur des feux, au milieu du cercle
des assistants, qui l'accompagnent en battant des mains et en balançant le corps en
mesure, la jeune mariée exécute une danse spéciale, la danse de l'épée. Elle tient
une épée de la main droite et, de la gauche, un mouchoir. Pendant ce temps, un récitant
chante le ouassf , une poésie composée pour la circonstance, où l'on décrit la
beauté de la fille et les splendeurs de ses atours. Les deux camps pourraient être les
deux choeurs formés par des hommes d'une part et les femmes de l'autre, qui rythment le
chant en balançant le haut du corps" (Osty)
Ou encore un chant antiphonique en deux groupes faisant alterner un choeur de musiciens et
un choeur de femmes. Les ouassfs étaient des poèmes nuptiaux, des descriptions
admiratives réciproques des deux amants en usage chez les paysans de Syrie durant les
sept jours que durait la cérémonie. Mais ici, il ne s'agit pas d'un poème dans un
contexte de cérémonie de mariage.
v 2
Comme ils sont beaux tes pas, dans tes sandales, toi fille de noble race.
Les rondeurs de tes hanches sont comme des colliers
modelés par les mains d'un artiste.
Le jeune homme fait encore et sans cesse l'éloge de sa fiancée.
La description dépeint la fille durant sa danse; à l'inverse de celle de 4:1-5, elle est
faite de bas en haut; elle part des pieds pour remonter jusqu'à la tête. La fille est,
pour le garçon, la toute belle, la toute parfaite (5:2), exempte de défauts et de
travers. Les sandales qu'elle porte (comme les orientaux) laissent voir le pied nu
et en relève la finesse. Il s'agit probablement de chaussures spéciales pour la danse.
La magnificence des sandales chargées d'ornements faisait partie de la parure des femmes
distinguées*. A l'intérieur de la maison, on ne portait pas de chaussures.
La cuisse, jusqu'à la naissance de l'épine dorsale, et même la hanche, est
décrite dans ses courbes et rondeurs. Le contour harmonieux du creux de la hanche est
comparé à un collier. Les colonnes de ses jambes sont ronds comme des anneaux, ouvrés
par les mains d'un artisan-orfèvre (cf Jr 52:15: 'le reste des artisans')
La fiancée est dite "fille de prince" ("aminadab") ou
"fille de noble race", non pas à cause de son origine, mais à cause de sa
distinction divine et de son élégance royale; c'est un compliment que reçoit cette
bergère épousant un berger, lui-même appelé roi.
*sur la vertu captivante des sandales: cf Jdt 16,9: "Sa sandale ravit ses yeux"
v 3
Ton nombril forme comme une coupe arrondie
où le breuvage mêlé d'épices ne manque pas.
Ton ventre est comme un tas de froment au milieu des lys
Chaque partie du corps s'accompagne d'une comparaison et d'une
seule. Le nombril, cratère arrondi, est souvent mentionné dans les descriptions des
poètes arabes comme un élément de beauté (Ez 16:4). Serait-ce le sexe de la femme ?
Le vin épicé* désigne le vin mêlé d'eau ou d'épices (eau-de vie de vin).
Le monceau de blé est celui qui s'entasse sur les aires, lorsque les animaux et
les traîneaux achèvent de le fouler. Il arrive que le tas de blé soit retenu par une
bordure de buissons épineux rabattus par des pierres.
Le cratère rempli de vin et le monceau de blé sont des symboles de fertilité et
d'abondance..
Dans le Cantique, le lys, c'est la fille, vierge, dont jouit le garçon.
*hapax, terme aramaïsant
v 4
Tes deux seins ressemblent à deux faons, jumeaux d'une chevrette.
Les seins constituent le symbolisme de la fécondité; ils sont décrits comme des faons paissant parmi les lys, c'est-à-dire sur son corps.
v 5
Ton cou ressemble à une tour d'ivoire
Tes yeux sont comme les piscines de Heshbon,
près de la porte de Bath Rabbim.
Ton nez est aussi gracieux qu'une tour du Liban,
veilleur face à Damas
Personne n'a jamais vu une tour en ivoire et la tour du Liban est
un monument inconnu, mais on sait que l'ivoire était employée en architecture et dans la
décoration (cf 1 R 22:39). Un cou solide est un élément de la beauté orientale et sa
forme cylindrique peut le faire ressembler à une tour, toutes mesures gardées.
"Heshbon" est une ville de Transjordanie qui avait des
piscines-réservoirs en maçonnerie et à ciel ouvert; avec ses villes voisines, c'est une
région de pâturages et de vignobles. Cette création poétique imagée réussit à
célébrer la blancheur, l'éclat et le port du cou de la fille par allusion à la couleur
blanche et brillante de l'ivoire.
Le genre littéraire du Cantique permet un mélange de noms historiques et de noms
imaginaires: ainsi le nom d'une porte très fréquentée, "la porte de
Bath-Rabbim" signifie "fille d'un grand nombre, populeuse".
v 6
Ta tête, posée sur tes épaules, est fière comme le Mont Carmel
Les boucles de tes cheveux ont des reflets de pourpre.
Un roi serait séduit par de tels atours.
Si l'on n'admet pas l'indépendance des poèmes et la liberté du
poète, on peut détecter dans tout le Cantique de nombreuses contradictions: comment
concilier en effet la couleur propre avec les expressions déjà rencontrées: brune comme
les tentes (1:5), noire comme un troupeau de chèvres (4:1; 6:5) ? Le poète veut
célébrer aussi bien la chevelure opulente de la bien-aimée que son noble profil. De
part et d'autre, cette chevelure pleine de reflets est somptueuse. Les tresses des cheveux
tombent en nattes, serrées autour de la tête par un bandeau. Les mèches qui retombent
en ondulant évoquent l'image ondoyante de l'eau courante.
La riche et célèbre végétation du Carmel en vignes, arbres fruitiers et haute
futaie est mise en parallèle, dans Es 33:9 avec les feuillages de Bashan et dans Es 35:2
avec la gloire du Liban, c'est-à-dire la magnificence de ses forêts de cèdres. Sharon
(Ct 1:2), montagnes de Galaad, Carmel (7:6), Bashan, ce sont les sites les plus
prestigieux de Palestine pour la splendeur de leur riche végétation.
Les tons du pourpre varient du rouge au violet sombre, presque au noir (4:1; 6:5).
La pourpre, extraite du murex, était l'emblème du pouvoir royal. La belle savait, comme
bien d'autres, donner de la couleur et du teint à sa chevelure et se donner ainsi un port
de reine..
La jeune fille avait ravi le coeur du garçon par un seul de ses regards fascinants
(6:5), par une seule des perles de son collier (4:9).
Le fiancé est sous l'effet et sous le charme de la beauté de la fille, qui
séduiraient le plus exigeant des rois.
v 7
Que tu es belle et fascinante, ô amour, dans ces délices !
C'est une explosion de lyrisme, qui interrompt la description. La bien-aimée est l'amour en personne. C'est une jeune fille tellement ravissante qu'elle fait tous les délices de son amant (cf Mi 1,16; 2, 9).
v 8
Cette taille te fait ressembler à un palmier,
Tes seins sont comme des grappes
Le garçon est en présence de la fille et il la contemple. Sa
haute stature est comparée à un palmier, arbre qui prospérait dans la plaine côtière
et qui a une ressemblance frappante avec l'homme par la beauté de sa taille droite et
élancée. La Bible cite plusieurs femmes dont on précise qu'elles étaient belles* et
qui portaient le nom de Tamar**
* 2 S 13,1; 2 S 14,27
**Gn 38,6; 2 S 13,1; 17,27.
v 9
Je me suis dit: "Il faut que je monte au palmier pour en saisir les rameaux".
Que tes seins soient pour moi comme des pampres de vigne,
Et l'odeur de ton haleine comme celle des pommes.
La passion amoureuse qui habite et anime le jeune homme est
intense. Le poète multiplie les métaphores pour décrire, à partir d'images du règne
végétal, la beauté anatomique et sculpturale de la jeune fille: palmier, régimes,
grappes de la vigne, pommes, bon vin.
Dans le Cantique, le symbole des odeurs agréables est utilisé pour signifier les
charmes qui excitent l'amour (1:3.12; 4:10,11). A cause de son parfum aphrodisiaque
apprécié par les orientaux, la pomme, fruit préféré du garçon et de la fille
(2:3.5), est toujours mise en rapport avec l'amour (2:3.5; 8:5).
La joie de la mutuelle possession s'exprime par les métaphores habituelles: la
figure des régimes de dattes et de grappes de raisin, des pommes et du vin disent la
douceur et la tendresse inexprimable de cet amour.
La haute taille de la fille étant comparée à un palmier-dattier, le garçon ne
saurait se contenter de son ombre ou de son écorce; puisque le palmier vaut surtout par
ses fruits, on montait au palmier pour la cueillette de ses fruits. Le jeune homme est
donc obligé de l'escalader pour atteindre les régimes de dattes.
Si elle est un palmier, ses seins (représentés par les régimes) sont des fruits
hors de portée, qu'il faut atteindre et conquérir.
Les grappes de raisin sont une autre figure s'ajoutant aux régimes des dattes: on
passe de la comparaison avec les grappes du palmier à la comparaison avec les grappes ou
les pampres de la vigne, qui est, comme le palmier, le symbole de l'aimée, et dont le
fruit est source d'ivresse. La vigne est l'équilibre entre les trois éléments, la
terre, l'eau et le feu du soleil, qui permettent d'accéder au quatrième, l'air par
sublimation en vin, avec sagesse et mesure. Les fruits exquis sont le symbole de l'amour
en possession de l'objet aimé.
v 10
Ton palais comme un vin exquis ! "
(elle)
Il va tout droit, ce vin, à mon bien-aimé,
Il coule sur les lèvres de ceux qui sont assoupis.
Le garçon parle à la fille. La voix et la parole de la personne
aimée ont une particulière tendresse dans le Cantique* La métaphore du vin
signifie symboliquement l'enivrement de l'amour**. Le vin rend les muets éloquents et les
stupides spirituels; c'est grâce à lui qu'on a inventé l'ivresse de la musique et de la
danse.
La fille a réservé le vin savoureux de ses baisers et les douceurs des fruits
pour le palais de son ami, exclusivement. Le bonheur dans l'étreinte qui enivre
les amants et les assoupit est complet et réciproque.
* Ct 4,11; 5,13.16.
** Ct 1,2; 2,4; 4,10; 5,1; 8,2
7,1l-8,4: l'invitation au voyage de noces : le projet de 2: l0 est alors repris, en vue de l'union, avec le regret que ce ne puisse pas encore être au vu et au su de tous.
v 11
Moi, je suis à mon bien-aimé
Et son désir se porte sur moi.
En Gn 3:16, le "désir" est le penchant qui porte invinciblement la femme vers le mari, son maître, dont elle subira la domination et les exigences. En Gn 4:7, le désir est, à propos du péché personnifié, ce qui cherche à entraîner l'homme au mal, la force irrépressible qui convoite Caïn. Ici c'est l'attrait joyeux et mutuel de l'homme pour la femme qui est relevé. La fille répond immédiatement aux avances de son chéri; elle vit uniquement pour lui, comment tarderait-elle?
v 12
Viens-t'en mon amour. Sortons à la campagne,
Passons la nuit dans les villages.
La jeune fille met une belle coquetterie à reprendre des
expressions de bonheur: elle habite la ville, dans une bourgade importante; c'est elle qui
invite son chéri à venir goûter des charmes de la nature campagnarde et des délices du
printemps palestinien (réalisant son voeu à lui de 4:8): promenade nocturne à travers
les villages (1 S 6:18), dans la campagne: "tsadeh" c'est l'étendue
cultivable, la campagne à proximité de laquelle sont les agglomérations, (ce qui est la
campagne ici était ailleurs un jardin (Ct 4:15-16; 5:1; 6:2.11) tandis que
"midbar", c'est la steppe aride et inhabitée (Ct 3:6).*
Les jeunes amoureux vont donc aller dans la campagne pour jouir du jardin où
poussent la vigne, les grenadiers, les mandragores. A la belle saison, les orientaux
passent volontiers la nuit dans les abris rustiques des vergers ou des vignes, les amants
y viennent pour jouir de la solitude et de la nature printanière, symbole de leur propre
bonheur et pour s'appartenir dans l'acte d'amour. C'est la fin de la cinquième nuit
passée ensemble. On a vu à plusieurs reprises que les matins le garçon sortait de
l'appartement de la fille et se retirait à la campagne, laissant souvent la fille
endormie et défendant à ses compagnes de l'éveiller.**
* Rapprocher les v 12-14 de 2, 10-14.
** Ct 2,7.17; 3,5; 4,6.
v 13
De bonne heure, allons dans les vignobles
Pour voir si la vigne a des bourgeons, si ses pampres sont éclos,
Et si les grenadiers sont en fleur.
Lorsque les grappes de la vigne, à peine ébauchées, entrouvrent leurs boutons, dans un parfum léger, c'est l'ouverture officielle du printemps. Le garçon semble déjà bien connaître les caresses de la fille, comme la fille celles du garçon (1:2 et 4); les versets 4:11s précisaient que jusqu'à présent, les deux amoureux avaient seulement échangé des baisers et que l'union n'était pas consommée. Il s'agit ici d'une nouvelle caresse qui va aboutir, très bientôt, à l'extase de l'amour. La jeune fille est, pour son amant, "la" vigne par excellence; son corps est son jardin. La vigne qui bourgeonne, les grenadiers qui fleurissent, le printemps qui s'épanouit, toute cette nature en éveil, ce sont des images poétiques qui décrivent l'anatomie de la jeune fille; ce sont des symboles pour décrire en termes idylliques la fraîcheur d'un amour sans rides. Les conditions sont réunies pour la jouissance proche.
v 14
Les mandragores exhalent leur parfum
A nos portes, il y a toute sorte de fruits exquis,
des nouveaux et aussi des vieux,
Mon amour, je les ai réservés pour toi.
La mandragore est une solanée dont la racine pivotante, la plupart du
temps fourchue, présente une certaine ressemblance avec le corps humain. La
"mandragora officinarum" qui fleurit en février-mars et dont le fruit mûrit à
la fin du printemps est celle dont on parle ici. Il est peu important pour le poète que
cette mandragore bourgeonne en même temps que la vigne ou non. Pour lui, tous les
symboles s'épanouissent en même temps.
On évite les mandragores comme de dangereuses orties ou de déplaisantes plantes grasses.
L'odeur de la mandragore, pénétrante, est désagréable. On a du mal à croire que la
croyance commune a fait de cette solanée, dont le nom est plus joli que la chose, le
symbole populaire de l'amour physique. Les anciens prêtaient en effet à cette plante les
vertus d'exciter l'amour et d'assurer la fécondité des couples.
Il est remarquable de noter l'allusion à Gn 30:14-16 où est faite, et uniquement là, la
mention des "pommes d'amour" et de leurs propriétés aphrodisiaques et
prolifiques. Les pommes d'amour sont, pour le garçon, les seins odorants de celle qu'il
aime (cf 4,5-6).
Les baies des mandragores sont, dans le même contexte anatomique, les symboles des
tétons de la fille.
En bonne ménagère qui met en réserve des provisions et en fille de bonne conduite qui a
gardé son corps pour celui qu'elle aime, la fille offre à son ami les fruits à manger
et les parfums à respirer. Ces fruits désignent, comme en 4,13-16, ses charmes dont la
jouissance exclusive est réservée à son chéri. Ils symbolisent l'amour retrouvé et à
offrir.
Le possessif de "nos ouvertures" (à nos portes) semble renvoyer aux deux
jeunes. On peut y voir, au bénéfice d'une certaine ambiguïté, les échancrures des
vêtements et les orifices du corps.
Tout finit dans ce poème sous le symbole de la végétation printanière et des fruits
les plus délicieux..
Eglogue (8,1-8,4)
8:1
Ah, que ne m'es-tu un frère
un frère qui aurait tété les seins de ma mère ?
Je pourrais te rencontrer dehors, je pourrais t'embrasser
sans que les gens n'y trouvent à redire.
La séquence Ct 7:11-14 était une fin. Nous sommes en présence ici,
en Ct 8:1-2, d'une rupture de situation et d'un recommencement poétique: la reprise du
thème des désirs insatisfaits de l'amour qui est recherche et tension vers une unité
toujours à refaire.
Les moeurs orientales des bédouins ne permettaient pas à une épouse de donner à son
époux des marques publiques d'affection. A fortiori des fiancés dont le mariage n'était
pas encore célébré officiellement ne pouvaient-ils en aucun cas échanger des baisers
en pleine rue ou sur la place du village. La coutume le tolérait plus facilement d'un
frère utérin ou du cousin fils de l'oncle paternel, rares personnes qui pouvaient
embrasser sans honte une jeune fille devant les autres. Dans ce cas, si son amant était
son frère, personne ne la prendrait pour une femme de mauvaises moeurs.
v 2
Je te conduirais, je te ferais entrer dans la maison de ma mère
Et tu m'initierais.
Je te ferais boire du vin d'arôme et de ma liqueur de grenades.
Dialogue haletant et pathétique de l'amour libre, voire clandestin. La
shulamite, consciente de ses propre limites, et voulant fuir le tracas de la ville et des
affaires, entraîne son ami à la campagne, dans sa maison natale où elle désire que sa
mère l'initie à l'amour. Faire entrer une fille dans la maison de sa mère, c'est
l'épouser (Gn 24:67), ou, pour le moins la considérer comme son épouse.
Les anciens aimaient à mêler le vin* à des essences aromatiques. Il s'agit ici d'un vin
excellent, mêlé d'épices (Ps 75:9) et d'une liqueur de grenades, symboles de la
fécondité. Le prix de cette liqueur offerte par la fille vient de ce qu'elle l'a
confectionnée elle-même, avec "ses" grenades. Le prophète Osée parle d'un
vin d'encens (14:8), vin du Liban, le nectar des Anciens; ce nectar se faisait en mêlant
au vin des rayons de miel et des fleurs odoriférantes. Pline en fait mention: on prenait
de l'eau de mer ou de l'eau salée qu'on faisait cuire jusqu'à ce qu'elle fût réduite
au tiers; on en mêlait la 80ème partie au vin; on y ajoutait des herbes odorantes; on
cuisait le vin jusqu'à une certaine diminution.
En réalité, les deux images, vin et grenades, symbolisent et signifient les charmes et
les attraits de la jeune fiancée; ses seins sont une source d'ivresse qui subjugue le
garçon.
Xénophon, dans son Economique, représente un époux qui donne à sa nouvelle épouse ses
instructions sur le ménage et sur l'économie de la famille. Dom Calmet écrivait à ce
propos: "C'est là, chez moi, dans l'appartement de ma mère, en plein jour, tu m'y
donneras tes instructions sur la conduite de la maison, sur le gouvernement de la famille
à venir".
*cf Es 5,22; Ps 75,9; Prov 9,2.5; 23,30
v 3
Sur son bras gauche repose ma tête et son bras droit m'enlace. *
Dans 7:11-14, la fille a laissé entendre qu'elle possédait son
chéri. Ce verset décrit, pour finir, leur union parfaite. C'est la sixième nuit passée
avec le fiancé, depuis le verset 13 du chapitre précédent.
*reprise de Ct 2:6.
v 4
Je vous en conjure, filles de la Ville
N'éveillez pas, ne réveillez pas mon désir
Avant l'heure de son bon plaisir.*
La fille souhaite entendre de la bouche du garçon au moment où elle
s'assoupira, ivre de volupté, une sorte de protection, non seulement de son sommeil, mais
de son être et de son amour contre ces élégantes qui ont le béguin de son chéri et
qui sont peut-être, en permanence, ses dangereuses rivales.
* reprise de Ct 2:7 et de 3:5.
EPILOGUE Ct 8: 5-14
(choeur) 8,5-6a
Qui est cette jeune fille qui monte du désert
en prenant appui sur son bien-aimé ?
(lui)
Sous le pommier, je te réveille,
C'est là que ta mère t'a conçue,
C'est là que devint enceinte celle qui t'a mise au monde.
Mets-moi comme un sceau sur ton coeur,
comme un sceau sur ton bras.
commentaire
Ct 8:5-14. La trame du Cantique n'est pas celle d'un acheminement poétique
progressif des amants vers l'union sexuelle (celle-ci est peut-être déjà réalisée
1,4; 1,16-17; 2,4-7; 2,16, sans parler de 5,1 qui arrive en rêve après l'affirmation de
virginité de 4,12) ou l'étreinte nuptiale. Mais le Cantique décrit une tension
constante vers l'unité de deux êtres qui se cherchent sans cesse sans se posséder
jamais: l'amour qui les rend proches et qui les éloigne aussi vite est une quête et une
reconquête renouvelée de tous les instants. Les amoureux sont deux êtres de fidélité
quotidiennement remis en question par la passion qui les unit et les sépare en même
temps. L'amour est une puissance de vie nourrie de la mémoire de l'avenir. L'amour est
une aventure qui trace pour l'autre des chemins de rencontre.
v 5a
Qui est cette jeune fille qui monte du désert
en prenant appui sur son bien-aimé ?
C'est la reprise d'un thème d'épithalame, la réalisation des désirs de la fille et le dénouement du drame psychologique du Cantique. Le verset 5a a un caractère différent de ce qui précède: c'est le garçon qui va être réveillé. Tout est utilisé pour décrire l'union de deux amoureux, pris dans la simple création de Dieu, qui représentent le vrai amour, reflet de l'alliance au nom de laquelle Jahwé a soutenu son peuple pendant la marche de l'Exode et pendant celle du retour de l'Exil. Les amoureux montent du poétique désert, la fille amoureusement appuyée au bras de son bien-aimé. Celle qui monte du désert en s'appuyant sur son chéri, c'est celle qui l'éveille comme un nouvel être pour la consommation de leur union. Au moment où les deux sont réunis, la fille qui durant tout le Cantique a désiré le garçon et couru après lui pour retrouver ses traces, lui dit: "Je t'ai enfin éveillé à une nouvelle naissance, celle de l'amour; je t'ai donné de renaître à une nouvelle vie, celle de l'espérance".
v 5b
Sous le pommier je t'ai réveillée
C'est là que ta mère t'a conçue.
C'est là que devint enceinte celle qui t'a mise au monde.
L'article déterminant "le" pommier renvoie soit à un
objet précis, un lieu déterminé de leur rencontre, soit à un symbole, soit aux deux.
Le pommier est un arbre de choix*. D'après Ct 2:3, c'est le lieu des caresses et de
l'étreinte. Etant donné le rôle aphrodisiaque de la pomme, cet arbre, réel, symbolise
en même temps le voeu de la fille d'éveiller le désir assoupi de son amoureux. Elle
attend un réveil de l'amour qui sommeillait. Ici le pommier pourrait aussi dire la maison
toute proche vers laquelle les amants se dirigent et où ils s'étendent pour faire
l'amour. Ce sera là où déjà la fille a été conçue par sa mère.
Etre enceinte peut signifier "être dans les douleurs". L'éveil que la
fille provoque produit une nouvelle naissance chez son ami: Tu vas naître de nouveau au
lieu même où tu fus conçu par ta mère, c'est-à-dire non pas dans sa maison, mais dans
l'étreinte de l'amour.
*Ct 2:3; 2:5; 7:9; Jl 1:12
6 a
Mets-moi comme un sceau sur ton coeur
comme un sceau sur ton bras.
La fille a déjà évoqué à deux reprises la maison maternelle
(Ct 3:4 et 8:2).
Le sceau, suspendu au cou par un cordon (Gn 38:18) ou fixé à l'un des doigts de
la main (Jr 22:24), très personnel, authentifie les volontés de son possesseur dans les
actes de la vie civile et permet de reconnaître quelqu'un. On gardait donc jalousement
cet objet précieux entre tous et dont on ne se séparait jamais (Ag 2:23). L'expression
ici fait allusion à la première manière de porter les sceaux et les mots qui suivent
"comme un sceau sur ton bras" à la seconde.
La fille est non seulement sur le coeur du garçon, mais dans ses bras, en sorte
que si elle est un sceau sur son coeur, elle l'est aussi sur son bras. Il l'emporte
toujours avec elle comme sa propriété la plus personnelle; elle est un signe par lequel
on peut le reconnaître, en même temps que par elle tout ce qu'il fait est authentifié.
Elle pose sa marque au centre de la vie de celui qu'elle aime.
Sceau sur le coeur, jalousie, feu, mépris: ces thèmes se trouvent déjà dans Prov
6:21.27-28.34.
P o è m e-a p o t h é o s e (8:6b-7)
L'Amour est puissant comme la mort,
La Passion, dévorante comme le shéol.
Ses éclairs, des fulgurations de feu,
tonnerre de Dieu.
Aucune torrent d'eau n'est capable d'éteindre le feu de l'Amour.
Aucun fleuve n'est capable de l'engloutir.
Si un homme donnait tous les biens de sa maison pour acheter l'amour,
tout le monde, à coup sûr, le mépriserait.
6b
Car l'amour est puissant comme la mort
La Passion dévorante comme le shéol
Ses éclairs, des fulgurations de feu,
tonnerre de Dieu.
Allure solennelle de la déclamation: la multiplicité des
métaphores (sceau, mort, shéol, fièvres, flammes de Ya, grandes eaux, fleuves) dit le
caractère ravageur et fougueux de l'amour-passion et sa brûlante qualité. Dire que
l'amour est fort comme la mort, c'est souligner l'âpreté avec laquelle il est prêt à
prendre possession de son objet et à le défendre contre toute emprise étrangère. Le
passage évoque la force impétueuse de cet amour captatif et scellé dans la fidélité. La
jalousie qui le protège d'une certaine façon est farouche, inflexible, obstinée: elle
n'en admet ni partage ni limite.
Le shéol est l'anti-monde, le non-monde et en même temps le monde souterrain où
toutes les tombes sont englouties.
L'amour-passion est comme le shéol, l'abîme insatiable qui jamais ne dit
"assez", et qui n'est donc jamais assouvi (Prov 30:15-16).
L'acte d'amour est décrit comme le feu du ciel qui embrase l'endroit où il tombe.
L'amour violent blesse, puisqu'il a des flèches; il provoque des brûlures, puisque ses
traits sont des éclairs de feu (Eccli 24:29).
Il y a comparaison entre le pouvoir de la mort ("thanatos") et celui de
l'amour ("eros"), avec, à l'arrière-plan, leur antagonisme invincible.
On trouve une sentence comparable en Jg 14,18, dans la réponse faite à l'énigme
proposée par Samson pendant les noces; c'est une allusion à l'amour plus doux que le
miel et assez fort pour arracher son secret au vigoureux jeune homme.
D'autres poètes, plus pessimistes, disaient que l'amour, maître impérieux et violent,
réduisait en esclavage celui qui s'y laisse prendre: "Nullus liber erit, si quis
amare velit" (Properce, livre 2 Elégie).
v 7
Aucun torrent n'est capable d'éteindre le feu de l'Amour
Aucun fleuve n'est capable de l'engloutir.
Si un homme donnait tous les biens de sa maison
pour acheter l'amour, tout le mode le mépriserait.
L'image des "eaux torrentielles"* désigne la mer et les
fleuves (Es 23:3; Ez 27:6; Ps 19:3) que Dieu a maîtrisés définitivement au moment de la
Création et de l'Exode (Ps 77:20; Hab 3:15). Depuis, il empêche continuellement les eaux
des océans d'engloutir le monde (Ez 26:19). La puissance de ces masses d'eau sert de
terme de comparaison pour parler de la puissance de Dieu (Ps 29:3; 93:4; Ez 1:24; 43:2).
L'expression "les grandes eaux" devient le symbole des dangers mortels ou des
calamités cosmiques (grondement des eaux diluviennes Jr 51:55) ou politiques (tumulte des
nations, Es 17:12; Ps 14:7) qui menacent l'humanité et dont Dieu seul peut sauver l'homme
(Ps 32:6); la même image s'applique dans les Psaumes aux menées des ennemis personnels
(Ps 32:6; 144:7; 124:4-5); à cause du bruit des "grandes eaux" ou des
inondations qu'elles provoquent (Ez 26:19), l'expression signifie l'invasion qui menace,
qui engloutit et qui emporte tout sur son passage (Es 17:13; Jr 51:55), le chaos toujours
menaçant et toujours vaincu (création, déluge, exode).
De leur côté, les fleuves sont un résidu mythologique** de l'océan primordial.
Ils peuvent eux aussi symboliser l'ennemi.
Les grandes eaux venant du réservoir primordial sont aussi des eaux abreuvantes
(Nb 20:11) et fécondantes (Nb 24:7; Ez 17:5.8; 19:1O), assurant la vie et la survie des
populations.
L'expression a enfin une valeur métaphorique. Elle montre la qualité de l'amour
et décrit les conditions que doivent revêtir les relations idéales entre amoureux.
L'amour est à ce point impétueux que les eaux des torrents ne sauraient ni l'éteindre
ni le contenir. L'amour vrai est si fort que ni l'argent ni le chaos ni la mort ne
sauraient le détruire. Rien ne peut donc séparer deux êtres qui s'aiment de cet amour
voulu par Dieu. Mais même si le chaos originel revenait comme au temps du déluge,
l'amour comparé à une flamme subsisterait.
L'amour-passion est un bien qui ne se vend ni se s'achète; c'est un si grand bien
et une chose si précieuse qu'il ne saurait avoir aucune valeur vénale, à moins d'en
faire une marchandise parmi d'autres. Il ne saurait non plus faire l'objet de tractations
intéressées ou d'échanges de cadeaux entre les deux familles. Quelle tristesse que de
chercher à exciter l'amour par les moyens de séduction tels que l'argent***! La trahison
de Dalila livrant son amant pour de l'argent est une mise en balance de l'amour et de la
richesse encore plus méprisable que celle envisagée par Ct 8:3. Les amateurs de beautés
terrestres sont quelquefois si passionnés pour elles qu'ils comptent pour rien la perte
de leurs biens. Ils achèteraient leur plaisir à n'importe quel prix.
Si le chaos n'a aucune prise sur l'amour-passion, c'est parce que Dieu l'a
maîtrisé comme il a maîtrisé le "tohu-bohu" originel, ce qui a permis à
l'amour de n'avoir d'autre fin que lui-même.
* "mayim rabbim"= 28 fois dans la Bible
** Hab 3,8 bis; Ps 24,2;Es 43,2; 44,27; Nah 1,4; Ez 31,4-5;15
***cf la valeur inestimable de la femme vertueuse: Prov 31,10s; Prov 3,15; 8,7.11; Sag
7,8ss.
+++
Epigramme I. - l'énigme de la petite soeur (Ct 8:8-10)
(les frères)
Nous avons une petite soeur, elle n'a pas encore de poitrine.
Que ferons-nous pour elle, le jour où l'on parlera d'elle ?
Si elle est un rempart, nous lui bâtirons des créneaux d'argent
Si elle est une porte, nous la bloquerons d'une planche de cèdre.
(la soeur)
Je suis un rempart, mes seins sont comme des tours,
Je suis devenue à ses yeux comme celle qui a trouvé la paix (?) (qui
génère la paix) .
v 8
Nous avons une petite soeur, elle n'a pas encore de poitrine.
Que ferons-nous pour elle, le jour où il sera parlé d'elle (= où on la demandera en
mariage) ?
Morceau énigmatique: une jeune fille a de grands frères qui
veillent sur sa vertu et sur son établissement, jusqu'au jour où, devenue désirable,
elle se laisse prendre à l'amour et trouve la paix en cédant à sa puissance. Sont-ce
ces mêmes frères (1:6) qui étaient irrités contre elle et qui l'avaient soumise à une
dure épreuve ? Ils parlent en tout cas d'elle avec beaucoup de tendresse et manifestent
envers leur petite soeur des dispositions très bienveillantes: "La soeur que nous
avons est encore petite; elle n'a pas le développement d'une femme nubile".
L'absence de seins montre que la jeune fille, encore impubère, n'est pas mûre pour
l'amour et le mariage. Les frères forment le projet de la défendre lorsque quelqu'un
viendra la demander en mariage (1 S 25:39). Et à l'âge où elle sera en état d'attirer
l'intérêt des jeunes garçons, ils voudront avoir leur mot à dire*. Il est d'ailleurs
souvent arrivé que des frères soient intervenus dans la vie privée (fiançailles ou
mariage) de leurs soeurs jeunes: Gn 24:29s: Lan pour Rebecca; Gn 34:6-17: les fils de
Jacob pour Dina; 2 S 13:20: Absalom pour Tamar.
La fille n'est point encore nubile. Les parents de la fille pense déjà à la marier; ils
délibèrent sur ce qu'il faudra faire "le jour où il faudra lui parler"
(c'est-à-dire quand on la demandera en mariage).**
* cf Gn 24,29.50.55.60; 34,6-17; Jg 21,22.
** cf Gn 34,6: "Hamor, le père de Sichem, se rendit chez Jacob pour lui
parler"; Ez 16:7; Dn 13:57-58.
v 9
Si elle est un rempart, nous lui bâtirons des créneaux d'argent
Si elle est une porte, nous la bloquerons d'une planche de cèdre.
Secret de l'énigme du passage: la fille n'a plus à être
protégée. Fière de ses avantages, elle va s'accomplir dans l'amour. Les frères sont
pourtant décidés à défendre la virginité de leur soeur, de gré ou de force. Ils
veulent construire une superstructure sur les murs de la ville pour leur donner leur
hauteur normale. Des images de solidité (protection en dur d'un rempart, symbole de
fermeté) et de dépense élevée (matériaux de grande valeur: du cèdre, bois précieux,
ferme et incorruptible*) sont utilisés pour relever la valeur affective et personnelle de
cette jeune fille..
"Une fille sans mari, c'est comme une porte sans fermeture, comme une ville sans
muraille, sans tours et sans défense. Il faut marier la jeune soeur et lui donner un
homme riche, puissant et illustre, qualités figurées et symbolisées par les créneaux
d'argent ou les ais de cèdre", disait dom calmet.
*Pline, H.N. 13,11; 16,76.79; les ais de cèdres sont en parallèle avec le couronnement
d'argent
v 10
Je suis, moi, un rempart, mes seins sont comme des tours
Je suis devenue à ses yeux comme celle qui a trouvé la paix.
Fière réplique de la jeune fille qui s'adresse avec beaucoup de
personnalité à ses frères; ce passage cependant est énigmatique. Elle est nubile, et
elle le dit avec assurance et fierté, mais elle n'est pas immature. Elle répond du tac
au tac, tout à la fois à l'objection des seins non développés et de la ville non
défendue, en reprenant la comparaison du mur et en lui substituant l'image des tours;
elle dit qu'elle est un rempart et que les seins en sont les tours (4:4; 7:5). Ici, ces
tours, au lieu de renforcer les défenses, exercent une fascination attractive. La
forteresse qui est pour tout autre imprenable se rend dès le premier assaut du
bien-aimé.
"Auparavant, elle était comme un mur sans défenses et sans tours pour se protéger.
Depuis qu'on a parlé de la donner à son amant, elle est devenue nubile; ses seins se
sont élevés comme des tours", commente dom Calmet.
Conséquence inattendue pour les frères: puisqu'elle est un rempart, la petite
soeur devrait se défendre, mais en fait le garçon qu'elle aime la trouve paisible et
apaisée: c'est une femme libre qui s'exprime et dont la liberté consiste à
rester fidèle, sans entrave aucune, à son bien-aimé; c'est une fille pacifiante qui
fait la paix autour d'elle ("la pacifiante" au hiphil) et une fille pacifiée
qui respire la paix ("la pacifiée" au qal).
Il lui suffisait ainsi de rencontrer celui qu'elle recherchait, qui est de loin
supérieur à Salomon, parce qu'il est sa complétude et sa plénitude à elle; elle l'a
enfin trouvé; plus rien ne manque à son bonheur.
Le poète ne chante pas ici la fidélité féminine dont Dt 22:13-29 protégeait la
virginité pour la fille nubile ou le lien conjugal pour la femme mariée. On ne célèbre
pas non plus les mérites de l'épouse et de la mère comme dans Prov 31. Le poème
décrit avec tendresse la liberté d'un amour donné hors de tout schéma de contrainte ou
de contrat.
Epigramme II.- l'énigme de la vigne de Salomon (Ct 8:11-14)
(lui)
Salomon possédait un vignoble à Baal-Amon.
Il fit don de ce vignoble à ses gardiens.
Chacun devait rapporter, pour son fruit, mille pièces d'argent.
Mon vignoble à moi, je l'ai devant les yeux,
Que Salomon reçoive mille pièces d'argent,
Que les gardiens de son fruit en reçoivent deux cents.
O toi qui demeures dans les jardins,
des compagnons sont à l'affût de tes paroles.
Fais-moi entendre ta voix.
v 11
Salomon possédait un vignoble à Baal-Amon.
Il fit don de ce vignoble à ses gardiens.
Chacun devait rapporter, pour son fruit, mille pièces d'argent.
Celui qui parle est le possesseur de la vigne, la jeune fille (cf 1:6
où c'est la fille qui parle et qui appelle le garçon sa vigne).
Epigramme énigmatique, placé arbitrairement ici. Salomon est devenu, comme
Crésus, le type et le modèle du propriétaire d'une grande richesse, symbolisée par le
vignoble prestigieux de Baal-Amon. Cette dénomination symbolique d'un lieu inconnu
signifie "maître, possesseur de richesse". C'est un site imaginaire, abondant
en vignobles de choix, qui renvoie plus à son contenu étymologique qu'à une
localisation réelle. Il est plus simple d'y voir la description laudative du harem
populeux de Salomon.
On avait coutume, à cette époque, et pour des raisons évidentes, de surveiller
les champs, les vergers et les vignes du haut de tours de garde, surtout lorsque la
récolte était mûre. Les gardiens de vignobles et de vergers n'étaient pas des
fonctionnaires de l'impôt (1R 4:7-19), ni de pillards mis à l'amende, mais des eunuques
(?), des surveillants qui négociaient les produits de la récolte et qui en apportaient
le montant à Salomon. La valeur de la redevance annuelle des meilleures vignes était de
mille sicles (cf Es 7:23), soit 4000 francs-or. Somme considérable, car l'argent
est très rare à cette époque. Il s'agit par conséquent, ici, d'un vignoble de grand
choix.
Salomon, poète et roi par excellence (1 R 5:12), avec son harem-vigne aux mille
femmes qui y séjournent (1 R 11:3), possédait donc, comparativement au chéri, la vigne
par excellence, mais il n'a pas connu, pour autant, la plénitude de l'amour-passion. Pour
lui, la vigne n'était qu'un vignoble rentabilisé, une unité économique de production
de raisin, de fabrication de vin frelaté, manipulé par des employés indifférents et
intéressés. Malgré son harem nombreux et ses relations amoureuses avec les filles, il
ne sait pas ce qu'est l'amour.
A la vigne-harem de Salomon, confiée à des gardiens, la fiancée oppose sa vigne,
qui n'est pas un harem, mais un garçon unique entre tous, garçon qui est bien à elle,
et qui est le seul qu'elle convoite. Pour rien au monde, elle n'échangerait cette vigne,
contre les vignobles prospères, rentables et gardés par d'autres du roi Salomon.
De toute façon, il y a opposition entre cette façon d'aimer qui se traduit en
termes de rendement et l'amour authentique qui n'a pas pour but la fécondation de la
terre ni l'engendrement d'une postérité, mais qui a sa fin en soi: un amour aimé pour
lui-même.
v 12
Mon vignoble à moi, je l'ai devant les yeux.
Que Salomon reçoive mille pièces d'argent,
Que les gardiens de son fruit en reçoivent deux cents.
C'est elle qui prend la parole pour dire une petite parabole qui met en
opposition deux propriétaires différents, en compétition pour la possession de la même
vigne.
D'une part, l'histoire d'un régisseur qui, ayant assumé l'exploitation d'une
vigne, s'acquitte de son emploi et de ses dettes en versant son dû à Salomon et
n'oubliant même pas de verser aux ouvriers le salaire convenu. De l'autre, l'histoire de
l'amoureuse qui méprise la richesse d'argent par amour pour celui qu'elle aime et qui lui
appartient à elle et à elle seule*. Là, il n'est pas question d'argent à gagner, mais
de la confiance réciproque d'un amour qui choisit d'être unique et exclusif dans une
société qui pratique la polygamie simultanée (adultère) ou successive (divorce et
remariage). La vigne de Salomon, à savoir son immense harem, ne vaut pas celle de la
bergère. La relation amoureuse qu'elle vit avec son fiancé est au-dessus de tout ce que
Salomon a pu dire de ses relations érotiques avec les femmes. Voilà pourquoi ce pâtre
est le vrai roi... le vrai Salomon de l'histoire (1:4) (1:13; 5:9), et la fiancée, une
reine unique entre toutes.
*"ma vigne à moi": un seul garçon, mon chéri; "pour moi": une
personne ou une chose est à la disposition de quelqu'un (Gn 13,9; 20,15; 24,51; 34,10;
47,6; 1 S 16:16)
v 13
O toi qui demeures dans les jardins,
des compagnons sont à l'affût de tes paroles.
Fais-moi entendre ta voix.
C'est une réflexion ou une prière isolée de tout contexte.
Après la nuit d'amour, dans la campagne, le matin étant venu, le chéri, uni à ses
compagnons, demande une dernière fois à sa bien-aimée de faire entendre le son de sa
voix.
Il veut faire partager son bonheur, symbolisé par un festin somptueux au jardin de
choix qu'était le corps de sa fiancée. Avant de se retirer....
v 14
Va-t'en vite, mon amour,
sois semblable à une gazelle ou à un faon des chevreuils
bondissant sur les montagnes des aromates.
La fille invite le garçon à rejoindre les montagnes où il avait l'habitude de passer le plus clair de ses jours à la garde des troupeaux ou à la chasse et d'où il venait le soir pour passer la nuit avec sa fiancée. Il faut prendre de la distance à cause des camarades, et cette échappée loin des indiscrets doit être en fait une venue vers elle puisqu'elle lui demande d'être comparable à une gazelle ou un faon sur des monts embaumés. Le faon, c'est lui; les monts embaumés, ce sont ses seins parfumés (Ct 4:6), comme les monts séparés en Ct 2:17. Toute la fraîcheur, la grâce et la passion amoureuse du livre se retrouvent dans ce verset conclusif.
Au bout du compte, le Cantique n'a point de point final. Il ne se termine pas comme les contes où le héros enfin uni à l'héroïne l'épouse pour "être, avec elle, heureux et avoir beaucoup d'enfants". A la fin du dernier poème, l'aventure continue et l'histoire reste ouverte. L'union est un point de départ toujours nouveau, pas un point d'aboutissement. Le Cantique parle de l'amour authentique qui, tout en étant toujours en recherche, a sa fin en soi, et doit retrouver à chaque instant son unité, l'unité entre celui qui est le chéri par excellence et la compagne qui est l'unique par préférence..
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Ce chef-d'oeuvre composite comportant 117 versets, 1.251 mots,
5.148 caractères, tout en défiant toute classification définitive, pourrait
aussi être divisé en 7 poèmes:.
Poème 1. dialogue entre le jeune homme et la jeune fille (Ct 1,5-2,7)
Poème 2. monologue de la jeune fille (Ct 2,8-3,5)
Poème 3. monologue du jeune homme (Ct 4,1-5,1)
Poème 4. monologue de la jeune fille (Ct 5,2-6,3)
Poème 5. monologue du jeune homme (Ct 6,4-12 )
Poème 6. dialogue entre le jeune homme et la jeune fille (Ct 7,1-14)
Poème 7. dialogue entre le jeune homme et le choeur (Ct 8,1-7).
Soit 4 monologues et 3 dialogues.
A l'intérieur d'un poème, l'action progresse du désir à sa
réalisation. Mais d'un poème à l'autre, la progression est nulle, parce que, chaque
fois, tout recommence.
Neuf fragments se détachent sur le fond authentique de l'oeuvre:
1° sept couplets isolés : - les renards dans le verger (Ct 2,15)
- le centon (Ct 2,16-17)
- la colonne de fumée (Ct 3,6)
- la litière de Salomon (Ct 3,7-8)
- le palanquin du roi (Ct 3,9-11)
- la montagne de la myrrhe (Ct 4,6)
- l'habitante des jardins (Ct 8,13-14)
2° deux énigmes ("hidoth"): -la petite soeur (Ct 8,8-1O)
- la vigne de Salomon ( Ct 8,11-12).
Ces fragments sont des blocs erratiques qui coupent le poème qui retrouve son
homogénéité première si on fait la coupure. Mais ce qui serait apparemment logique
n'est pas forcément biblique.
Note: Origène, dans l'Hexameron spirituel, énumère les six cantiques bibliques qui sont comme les six jours de la Création; le Cantique des Cantiques constitue le sabbat de cet Hexaméron. Il s'agit du Cantique de Moïse (Ex 15), du Cantique du Puits (Nb 21,17-18); du dernier Cantique de Moïse (Dt 32s); du Cantique de Déborah (Jg 5); du Cantique de David (2R 22); du Cantique de la Vigne (Es 5). Cf Sources Chrétiennes n° 37 bis).