Cantique des Cantiques
traduit et commenté par
camille-paul cartucci, metz 1995
POEME 2 Ct 2:8-3:5
(elle)
Je crois entendre la voix de mon amour
Oui, c'est bien lui qui vient !
Il bondit par-dessus les montagnes
Il saute par-dessus les collines.
Mon amour ressemble à une gazelle
Ou encore au faon d'un chevreuil.
C'est bien lui; il s'est tapi derrière notre murette
Il observe à travers les lucarnes,
Il cherche à voir à travers la claire-voie.
(lui)
Et il se met à chanter, mon amour, pour me dire:
Lève-toi (de) toi-même, ma bien-aimée, ma belle compagne.
Viens-t'en.
Voilà que l'hiver est passé; c'en est fini de la pluie; elle est au loin.
Les fleurs printanisent le pays
La saison des chansons est arrivée
La voix de la tourterelle se fait entendre dans notre pays.
Le figuier fait bourgeonner ses fruits encore verts
Les vignes en pleine floraison répandent leur senteur
Lève-toi (de) toi-même, ma bien-aimée, ma belle compagne,
Viens-t'en.
Ma colombe nichée dans les failles du rocher,
blottie dans les replis de la falaise,
Fais-moi voir les traits de ton visage
Fais-moi entendre le son de ta voix
Une si douce voix est la tienne
Un si beau regard ton visage.
(écologiste)
Attrapez-nous les renards, ces petits renards qui saccagent les vignes,
Car nos vignes sont en pleine fleuraison .
(elle)
Mon amour est à moi et moi je suis à lui,
Il fait paître son troupeau parmi les lys.
Avant que la brise du jour dissipe les dernières brumes du matin,
Reviens mon amour, bondis comme une gazelle
ou comme le faon d'une biche dans les replis des montagnes.
Sur mon lit, tout au long des nuits,
j'ai cherché passionnément celui que j'aime.
Je l'ai cherché mais ne l'ai point trouvé.
Je décidai donc de me lever et de faire le tour de la ville,
des ruelles et des places publiques,
pour rechercher celui qui est tout mon amour.
Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé.
J'y croisai les sentinelles qui faisaient leur ronde dans la ville
et leur ai demandé: "N'auriez-vous pas vu celui que j'aime ?".
A peine les avais-je dépassés que je rencontrai
celui qui est la passion de mon coeur.
Je l'empoignai et ne le lâchai plus,
jusqu'à ce que je l'eusse fait entrer
dans la maison de ma mère,
dans la chambre de celle qui m'a donné le jour.(lui)
Je vous en conjure, filles de la Ville,
par les gazelles ou par les biches des champs.
N'éveillez pas, ne réveillez pas l'Amour
avant le moment de son bon plaisir.
P0EME 2 - Ct 2:8-3:5
Commentaire
Le Cantique est bien un ensemble et un recueil de chants séparés, composés sur le modèle des chants nuptiaux. Le lyrisme, sous l'inspiration du poète, se meut à l'aise, dans une perpétuelle mouvance des sentiments et des images. Aucune hirondelle n'inscrit deux fois dans les cieux, de la même manière, les mêmes orbes. Dans le ciel de l'amour-passion, le poète dispose de la même inventivité.
Nous avions laissé la jeune fille dans la maison de ses parents, où elle était revenue après 2,7, peut-être la nuit, dans la salle du festin. Elle était au comble de l'extase et du bonheur, dans la possession du bien-aimé.
Ici le jeune garçon vient à nouveau l'inviter discrètement, un beau matin de printemps, très tôt, en se cachant derrière le mur, pour une promenade dans la campagne printanière, à moins que tout ceci ne soit qu'un rêve.
En tout cas, c'est un changement de situation - l'action dramatique recommence. L'apparition du printemps va de pair avec une nouvelle séquence poétique.
2,8
Je crois entendre la voix de mon amour
Oui, c'est bien lui qui vient !
Il bondit entre les montagnes
Il saute par-dessus les collines.
Le bien-aimé arrive, après une course effrénée, du pays montagneux; il franchit l'espace qui le sépare de sa belle à grandes enjambées, agile et empressé.
La jeune fille est aux aguets; de loin, de très loin, elle pressent la venue du fiancé qui bondit, pareil à une gazelle, par-dessus les crêtes; elle perçoit, à distance, l'écho de ses pas. Elle le reconnaît, non pas encore sa voix, puisqu'il ne crie ni ne parle, mais au bruit de ses bonds légers de jeune chasseur dans le silence des montagnes et des collines.
Une telle scène devrait aboutir à l'entrée du bien-aimé dans la maison de sa mère où se trouve la fille; elle doit se contenter (de voir) et d'entendre le son, le bruit ("qôl") que fait son bien-aimé plutôt que sa voix.
v 9
Mon amour ressemble à une gazelle
Ou encore au faon d'un chevreuil.
C'est bien lui: il s'est tapi derrière notre murette.
Il observe à travers les lucarnes
Il cherche à voir à travers la claire-voie.
La jeune fille, frémissante, ne cesse d'exprimer son désir d'un retour rapide du bien-aimé; elle se décrit à elle-même cette légèreté galopante en utilisant le symbole de la vélocité et de l'agilité qu'est la gazelle ou, plus gracieux encore, celle du faon*. Elle voit le garçon semblable à ces cervidés au galop léger et aux bonds étourdissants d'animaux en liberté, dans les déserts de Judée et dans les montagnes d'Esdrelon; il est tel un faon dans les montagnes crevassées et ravinées. A l'instant, il était encore sur les collines. Après les pluies d'hiver, le bien-aimé a erré dans les montagnes, à la poursuite du gibier. A présent il est là, tout près, au bout de sa course folle, nullement incommodé par elle, le coeur heureux de revoir sa belle.
La fille se trouve dans un édifice pas autrement précisé, qui est bâti certainement en ville, et c'est dans la ville que le bien-aimé vient la chercher, mais une ville à proximité de la campagne. Un grillage protège le mystère de la demeure et la paroi de la maison familiale où vit la fille. Il s'agit certainement d'une maison de gens aisés; dans les humbles maisons du menu peuple, il n'y avait guère que des lucarnes percées dans le mur d'argile et formées par deux briques longues ou deux pierres mises bout à bout, en porte-à-faux. Dans les édifices plus importants, il existait de vraies fenêtres (Prov 7:6). Ces baies étaient garnies de treillis; c'était un moyen de se défendre du soleil, de la poussière, de la pluie et des regards indiscrets. Le chéri est dehors, de l'autre côté du mur; il ne vient pas comme le voleur, à l'improviste, pour percer la muraille et dérober le butin. Il se tient derrière une sorte de claire-voie; il cherche à voir celle qu'il aime à travers la fenêtre grillagée qui forme la clôture de la propriété de campagne.
*"Opher" (faon) ne se trouve que dans le cantique (2:17; 4:5; 7:4; 8:14) et désigne le petit d'un animal, du chamois.
v 10
Et il se met à chanter, mon amour, pour me dire:
Lève-toi (de) toi-même, ma bien-aimée, ma belle compagne.
La fille raconte sous forme de narration historique une scène qui est par elle-même en dehors du temps et qui se localiserait plutôt dans l'avenir ou dans le rêve. Elle ferait alors parler celui qu'elle aime selon son désir. Nous sommes au petit matin, avant le début de la journée de travail. Elle est vraisemblablement encore couchée, mais ne dormant pas, le coeur en attente, puisqu'elle l'entend venir de loin. Réapparition des parallélismes d'Esaïe (51,17;52,2).
Maintenant il vient, le prince charmant, de très bonne heure, chercher la fille qu'il sait couchée, et l'invite à se lever pour faire une promenade et goûter avec lui les charmes du printemps, saison des amours. Il l'invite à jouir de la splendeur et de la floraison renaissante d'une campagne écrite en vert.
v 11
Car voici que l'hiver est passé
c'en est fini de la pluie; elle est au loin.
C'est la description pleine de fraîcheur du printemps palestinien. La saison des pluies est bien finie. L'hiver n'est jamais rigoureux en Palestine. Le mois de janvier est le mois le plus froid; les gelées et la neige cependant y sont assez rares et d'ailleurs peu persistantes. Mais pendant cette saison, la pluie tombe abondamment sur la côte et parfois à l'intérieur du pays.
La pluie commence en octobre-novembre*; c'est celle qui ameublit les sols et permet le travail préparatoire aux semailles. De décembre à avril, c'est la saison des pluies. Bénédiction de Dieu, élément de fécondité pour le sol, la pluie alimente les sources, remplit les citernes.
La seconde et dernière pluie vient en mars-avril**, à la saison
des fleurs; elle arrose les céréales, déjà en herbe et facilite leur croissance. De
son abondance dépend la qualité de la moisson. Elle cesse en mai.
*"yoreh"
**"malqosh = arrière-pluie"
v 12
Les fleurs printanisent le pays
La saison des chansons est arrivée
La voix de la tourterelle se fait entendre dans notre pays.
Riche vocabulaire de la végétation. Du mois de janvier au mois de mai, les plaines non cultivées et les parties fertiles de la Palestine forment un véritable tapis aux brillantes couleurs: anémone rouge, renoncule, tulipe, narcisse, hyacinthe, asphodèle, ciste blanc et rouge (rose de Sharon), etc. Ainsi, la plaine d'Esdrelon était recouverte d'une multitude de fleurs. La fleur a tout pour attirer: les formes, les couleurs, les parfums. Objet d'agrément pour les sens, elle a une fonction humaine d'ornement. La mention de la fleur du figuier et de la vigne semble indiquer le début de mai. L'époque de la taille est arrivée. Les chants de l'homme retentissent en signe de joie de la venue du printemps.
La tourterelle est signalée dans Jr 8:7 à côté d'autres animaux migrateurs, comme la cigogne, l'hirondelle, la grue. Elle quitte périodiquement la contrée pour passer l'hiver dans les pays chauds; au printemps, l'oiseau quitte les pays chauds pour rejoindre les pays tempérés; il arrive en Palestine, venant de l'Est, en quantité considérable. Sa voix recommence alors à se faire entendre, pendant les mois d'avril et de mai. Elle emplit de son roucoulement triste, velouté et mélancolique la campagne de Palestine, le "ghôr" transjordanien aux fourrés de tamaris et d'acacias, aux forêts de cyprès mystérieux. Les palmiers sont sa résidence de prédilection. La tourterelle vit habituellement mâle et femelle, ce qui fait qu'elle est le symbole de la fidélité et de l'affection.
v 13
Le figuier fait bourgeonner ses fruits encore verts
Les vignes en pleine floraison répandent leur senteur.
Lève-toi (de) toi-même, ma bien-aimée, ma belle compagne.
Viens-t'en.
Dans l'Ecriture, le figuier (seul emploi dans le Cantique) est presque toujours mentionné à côté de la vigne. Les deux figurent le bonheur paisible, la sécurité et la prospérité réservés au paysan israélite*. Une des manifestations de la colère divine est la dévastation de ces produits alimentaires de base des sédentaires palestiniens que sont la vigne et le figuier** ainsi que le froment par la sécheresse (Amos 4:6). Ici, une fois de plus, le texte du Cantique prend le contre-pied de ces interventions destructrices punitives.
Dès le mois de février, les figuiers encore sans feuilles se couvrent de petites verrues vertes, qui sont autant de boutons de figues, les figues-fleurs, qui mûriront en juin, deux mois avant les figues ordinaires. En effet, les figues précoces ou figues-fleurs se montrent en mars, à la cime des branches, avant les feuilles, qui, elles, poussent seulement dans le cours du mois d'avril, sauf dans les endroits bien exposés***. "Te'enah", c'est la figue d'automne; elle passe l'hiver parce qu'elle n'a pas eu le temps de mûrir avant la chute des feuilles; "bikkurah", c'est la figue-fleur de juin; "pagah" en arabo-araméen est un fruit (figue, datte) encore vert.
Cet appel du bien-aimé est la meilleure description du printemps
palestinien. Quelle fille résisterait à de pareilles incantations ?
*1 R 5,5; 2 R 18,31 = Es 36,17; Mi 4,4; Za 3,10
** Es 34,4; Jr 5,17; 8,13; Os 2,14
***la végétation méditerranéenne, toujours verte
pour l'essentiel, ne comporte que de rares espèces à feuilles caduques en hiver, comme
l'amandier et le figuier précisément. Ce figuier, le "ficus carica", se couvre
de feuilles au printemps; en Palestine, c'est un authentique indicateur écologique
annonçant la proximité du renouveau Heureux celui qui en sait lire le signe:
"Lorsque le figuier se couvre de bourgeons, on sait que le printemps est proche"
(Mc 13:28).
v 14
Ma colombe nichée dans les failles du rocher,
blottie dans les replis de la falaise.
Fais-moi voir les traits de ton visage
Fais-moi entendre le son de ta voix.
Une si douce voix est la tienne
Un si beau regard ton visage.
Si les tourterelles roucoulent dans les tamaris et les cyprès, la colombe* habite les lieux arides et se pose de préférence dans les fentes du rocher, dans le creux des parois escarpées, à l'abri des regards et de toute atteinte ou menace. Les solitudes judéennes abondent en ces parois vertigineuses, striées de larges fentes, percées d'anfractuosités: ce sont les gîtes préférés des pigeons sauvages et des colombes. Varron appelait le pigeon l'oiseau qui fait parfois son nid dans les rochers. Jérémie lançait dans son oracle contre les gens de Moab: "Abandonnez les villes, habitants de Moab, installez-vous dans les rochers; imitez le pigeon qui fait son nid dans les parois d'une gorge profonde" (Jr 48:28).
Le roucoulement de la colombe a quelque chose de doux et de plaintif. Animal sans défiance et sans défense, elle est l'image de la fiancée par sa douceur candide, sa finesse, sa docilité.
La fille est à distance, le fiancé ne peut ni la voir ni
l'entendre ni l'approcher. Il l'appelle avec insistance. Il ne dépend que d'elle de venir
à lui.
*"columba livia" = le biset
couplets adventices: l'aubade est interrompue
v 15
Attrapez-nous les renards, ces petits renards qui saccagent les vignes.
Car nos vignes sont en pleine fleuraison.
Si la vigne est en fleur, symbole du printemps et du temps nouveau, il est normal qu'on en chasse les bêtes qui la ravagent. Les renards font du tort aux vignobles, non pas parce qu'ils en dévorent les fruits, puisque la scène se passe au moment de la floraison et qu'ils n'aiment pas les fleurs; mais parce qu'ils y prennent leurs ébats, broutent les jeunes pousses, y creusent leurs terriers (Jug 15,5) et, ce faisant, saccagent tout.
Dans la Bible, le renard est toujours un animal nuisible*. A la saison des raisins mûrs, les renards, ou plutôt les chacals, leurs congénères, sont les maraudeurs attitrés des vignes. C'est contre eux que se fait la garde de nuit, dans les vignes, du sommet des tours de pierre ou par des rondes répétées. C'est un jeu pour eux de sauter les murailles de pierres sèches qui délimitent les clôtures...
Ils symbolisent ici les obstacles que peut rencontrer l'amour et
les dangers qui menacent la jeune fille. Nos vignes, c'est le symbole des deux jeunes
gens. Les dragueurs ravagent les vignes; les renards représentent les garçons qui
veulent prendre les filles; il faut donc préserver la nôtre. D'ailleurs cette
destruction ne leur serait d'aucun profit, ils n'en mangeraient pas le raisin, aux grappes
encore vertes et bourgeonnantes. Ce ne serait qu'une défloration sans plaisir.
*Jg 15,4-5; Ez 13,4; Lm 5,18; Neh 3,35
v 16
Mon amour est à moi et moi je suis à lui.
Il fait paître son troupeau parmi les lys
C'est maintenant, dans l'attente de la mutuelle possession et du ravissement, le cri d'un bonheur tout proche. Le garçon n'est pas là; il est parti faire paître le troupeau; on est en plein jour. La fille, elle, en 3,1-2, est encore sur sa couche, car il fait toujours nuit (v 3). Elle se lève, éperdue, à la recherche de son chéri.
Tout cela est un peu disloqué. Ce verset, à cette place, semble troubler l'ordre normal du poème. Mais qui sait ?....
v 17
Avant que la brise du jour dissipe les dernières brumes du matin,
(ou les dernières ombres de la nuit)
Reviens mon amour, bondis comme une gazelle,
ou comme le faon d'une biche dans les replis des montagnes.
La fille a attendu le retour de son chéri. Elle lui a donné rendez-vous avant la tombée totale de la nuit. C'est maintenant le matin; les ombres de la nuit fuient; les premières lueurs du jour commencent à percer les ténèbres, la lumière de l'aurore apparaît. Elle l'attend encore. Elle l'attendra le temps qu'il faudra, lui demandant de revenir vite, imaginant qu'il parcourt avec agilité les espaces rocheux, tel un faon dans des montagnes crevassées et ravinées. Elle l'attendra parce qu'elle a confiance en lui, et que lui ne lui a pas fait de promesse.
Eloignements et retours passagers du fiancé. Allées et venues secrètes et cachées, toujours la nuit et comme à la dérobée.
Tout le message du poème est d'affirmer la patience inlassable de ceux qui aiment; on ne cherche pas à savoir comment l'amour naît ni à quoi il aboutit, mais on affirme que lorsqu'il existe, il s'enrichit de l'attraction réciproque des deux amoureux. Chacun considère son partenaire comme unique au monde, malgré la surveillance méfiante des frères et la malveillance soupçonneuse des voisins.
3,1
Sur mon lit, tout au long des nuits
j'ai cherché passionnément celui que j'aime,
Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé.
La jeune fille rêve, à haute voix, sur sa couche, pendant la longue et apparemment vaine attente du rendez-vous du soir fixé en 2,17. Ce rendez-vous a été manqué. Son angoisse de solitude semble avoir duré plusieurs nuits de suite. Elle rêve que, cherchant le chéri et ne le trouvant pas, elle part à sa recherche, en pleine nuit, par les rues de la ville; elle veut le retrouver pour s'abandonner une seconde fois dans les bras accueillants d'un amour reconquis.
On trouve ce syndrome du "chercher-trouver" dans d'autres contextes, lire: Es 51,1; 65,1; Za 8,21-22, etc.
v 2
Je décidai donc de me lever et de faire le tour de la ville,
des ruelles et des places publiques
pour rechercher celui qui est tout mon amour.
Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé.
C'est une démarche passionnée, impatiente, insatisfaite et
quelque peu angoissée qui anime la fille. Poussée par un amour intense, déconcertée
par l'absence de son soupirant, elle se lève pour parcourir les rues et les places de la
ville fortifiée où elle habite. Elle veut en faire le tour; elle fait la ronde*. Comme
c'est une agglomération entourée de murailles, citadelle ou lieu fortifié, Jérusalem
(?), les ruelles sont étroites** et souvent enchevêtrées, mais la place ou la rue (du
marché) sont larges et bien dégagées, surtout aux abords des portes. La soupirante
pense pouvoir y retrouver son chéri en tournant au hasard des rues, même à deux heures
du matin. Errance de l'amour ! Mais est-ce bien prudent, pour une fille seule, de se lever
la nuit, de vaguer dans les ruelles plus ou moins obscures, comme une désespérée, au
lieu d'attendre sagement à la maison qu'il plaise à son amant de revenir ?
*Ct 5:3; Es 23:16; Qoh 12:4-5
**Prov 7:8; Qoh 12:4-5
v 3
J'y ai croisé les sentinelles qui faisaient leur ronde dans la ville
et leur ai demandé: "N'auriez-vous pas vu celui que j'aime ?"
Il y avait en effet des hommes rétribués qui devaient faire la ronde de la ville pendant la nuit, à cause des incendies et des alarmes subites qui pouvaient se produire (Ps 119:148). La fille ne se présente pas aux sentinelles. Elle ne s'excuse pas, elle les interpelle, elle ne sait ce qu'elle dit, comme si les gardes préposées aux murs de Jérusalem devaient savoir qui est son bien-aimé.
v 4
A peine les avais-je dépassés que je rencontrai
celui qui est la passion de mon coeur.
Je l'empoignai et ne le lâchai plus, jusqu'à ce que je l'eusse fait entrer dans la
maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m'a donné le jour.
C'est un coup de théâtre.
La fille trouve le bien-aimé et le fait entrer dans son appartement, qui était celui de sa mère, malgré l'opposition familiale. Les femmes avaient des demeures séparées. Isaac fit entrer son épouse Rébecca dans la tente où sa mère Sara avait habité (Gn 24,67). Faire entrer la fille dans la maison de sa mère (qui, comme le père, ne paraît nulle part dans le Cantique), c'est l'épouser (Gn 24,67). Même après son mariage, la femme philistine de Samson continua à demeurer dans la maison des parents*. Samson venait lui rendre visite en apportant des cadeaux, sans cohabiter.
Mais où l'a-t-elle trouvé ? en quelle compagnie ? en quelle occupation ? que faisait-il ? Questions inutiles....L'action est rapide, comme le pas des gazelles. La chose essentielle, c'est qu'elle l'a (re)trouvé et qu'elle ne le lâche plus. L'initiative du bonheur revient à la fille; le chéri se laisse faire.
A la fin du poème, c'est l'époux qui introduisait sa
bien-aimée dans la salle du festin.
*cf Juges 14,7-10; 15,1
v 5
Je vous en conjure, filles de la Ville,
par les gazelles ou par les biches des champs;
n'éveillez pas, ne réveillez pas l'Amour,
avant le moment de son bon plaisir.
Même refrain qu'en Ct 2:7. Le chéri (c'est lui qui parle) répond aux avances de la fille par le refrain des filles de la Ville, des biches et des gazelles (2:7).