Cantique des Cantiques

traduit et commenté par
camille-paul cartucci, metz 1995

 Introduction

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Poème 4

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POEME 1 Ct 2:8-3:5

arbre de vie

(la fille)

Je suis noirâtre, je le sais, mais je n'en suis pas moins belle,
Belle comme les tentes de poil sombre des bédouins
Belle comme les tentures de luxe des palais.
Ne me dévisagez pas comme cela, filles élégantes de la ville .
Si je suis si noiraude, c'est que le soleil m'a brûlée de ses rayons.
Les fils de ma mère se sont irrités contre moi
et m'ont envoyée surveiller leurs vignes,
Mais la vigne qui m'appartient, celle-là, je ne l'ai point surveillée.
Dis-moi donc, toi que j'aime passionnément.
Où mènes-tu paître ton troupeau ?
Où fais-tu reposer tes bêtes à l'heure du midi ?
Dis-le moi, pour qu'on ne me prenne pas pour une coureuse
lorsque je te cherche près des troupeaux de tes compagnons.

(choral)

Si tu ne le sais pas, toi la plus belle des femmes,
Alors, de toi-même, marche sur les traces de pas de (tes) brebis
Et mène paître tes jeunes chèvres
Près des tentes des bergers.

(le chéri)

Je te compare volontiers, ô ma compagne,
à la fière pouliche d'un attelage royal,
Tes joues sont désirables, entre les torsades de tes cheveux,
Et ton cou dans les colliers de perles.
Nous ferons faire pour toi des chaînes d'or incrustées d'argent.

(elle)

Tandis que mon royal amour est encore sur son divan,
Mon parfum de nard a répandu son odeur.
Mon amour est pour moi un sachet de myrrhe.
Il passe la nuit entre mes seins.
Mon amour est pour moi une grappe de henné
Au milieu des vignobles de la source du chevreau (d'Eîn Guèdi/Engaddi).

(lui)

Que tu es belle, ô ma compagne
Que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes.

(elle)

Que tu es beau, mon amour, que tu es fascinant,
Notre couche, c'est un tapis de verdure
Les madriers de notre maison, ce sont des bois de cèdre,
Nos lambris, ce sont les genévriers.
Je suis, moi, un narcisse de la plaine (de "sharon"),
un lys des vallées.

(lui)

C'est vrai, comme un lys entre les ronces
ainsi est ma compagne parmi les filles.

(elle)

Comme un pommier parmi les arbres de la forêt
ainsi est mon amour parmi les jeunes gens.
A son ombre, j'ai trouvé le bonheur que je cherchais et j'y repose
Et son fruit
(du pommier ou du chéri ?) est doux à mon palais.
Il m'a fait entrer dans la cave à vin
Et son enseigne, au-dessus de moi, c'est :"A l'ivresse d'Amour".
Restaurez-moi avec des gâteaux de raisin,
Fortifiez-moi avec des pommes (d'amour)
Oui. Je suis malade d'amour.
Son bras gauche est sous ma tête,
Son bras droit m'enlace.

(lui)

Pour l'amour du ciel, filles de la ville
Par les gazelles ou par les biches de la campagne,
N'éveillez pas, ne réveillez pas mon Amour
Avant le moment de son bon plaisir.

POEME 1 Ct 1:5-2:7

Commentaire

A présent, il y a brusquement un changement de décor: la fille se demande où est passé son bien-aimé et elle le recherche avec angoisse. Elle va interroger ses compagnes pour retrouver ses traces (v 5-8). A la fin du prologue, tout semblait achevé. Avec ce poème, tout repart à zéro. Cette constatation va se reproduire jusqu'à sept fois. Et sept fois, tout recommence, exactement de la même manière.

v 5
Je suis noirâtre, je le sais, mais je n'en suis pas moins belle
Belle comme les tentes de poil sombre des bédouins
Belle comme les tentures de luxe des palais.

La jeune fille, vierge nubile, non mariée, est juive et de race blanche comme les sémites, comme tous les personnages du poème. Le teint vermeil ou blanc est signe de santé, de fraîcheur et de bonheur, tandis que le teint noir ou foncé est symbole de décrépitude ou de dégénérescence (Job 30,30; Lam 4,8), comme il est aussi un signe de guérison (Lv 13,31.37). L'héroïne du Cantique ne se donne pas comme une négresse; son teint est seulement hâlé, tanné et doré par le soleil.

Le bronzage est l'indice d'une condition sociale de femmes vivant hors les murs de la cité et s'adonnant, dans la campagne, aux travaux des champs et des vignes ou à la garde des troupeaux. Les filles de la Ville, aux allures distinguées et élégantes, vivant dans le luxe et l'aisance, ayant du temps pour soigner leur toilette et leurs manières, d'une beauté gracieuse et charmeuse, vivent dans les salons des palais, à l'ombre, à l'abri du soleil et de ses dards; elles ont par le fait le teint clair et la peau blanche et lisse.

Ces filles de la Ville jouent de contraste avec la fiancée aux manières simples, sans fard, rustaudes, maladroites et gauches d'une fille de la campagne. Belle et désirable de surcroît.

Un dialogue s'esquisse entre la jeune fille et ce groupe imaginaire de citadines éclairées. La fiancée, personnage principal du choeur comme dans la tragédie antique, va pouvoir exposer largement ses états d'âme et ses sentiments. Et le premier sujet de conversation porte la plupart du temps sur les apparences qui mettent en valeur ou en disgrâce une jeune fille (taille, visage, teint, démarche, allure, etc).

Apparaît ici, dans certaines traductions, le premier des noms propres qui émaillent le Cantique: "Comme les tentes de Qédar et les rideaux de Salomon". Qédar fut le second fils d'Ismaël (Gn 25:13). La tribu arabe de Qédar, dont l'habitat semble avoir été au sud-est d'Edom, dans les déserts d'Arabie, était connue pour ses nombreux troupeaux de chèvres noires (Es 40:7; Ez 27:21). Les tentes, mentionnées en Jr 49:29, étaient noires comme le sont aujourd'hui encore celles des nomades de Syrie et de Palestine, parce que faites avec des peaux de chèvre à la toison sombre. Fabriquées par les femmes sur le métier, elles servaient de demeures mobiles et confortables à des populations sans domicile fixe. Salomon, qui fut un grand bâtisseur, avait fait décorer les portes de son palais de tentures. Elles étaient sobres de coupe, sombres de couleur, riches d'ornementation et de magnificence. Exode 26 et 36 font mention de tentures de différentes sortes: les unes, en poil de chèvre/caprins, noires sans doute (Ex 26:7; 36:14), les autres de couleur violette, écarlate et cramoisie (v 1).

v 6
Ne me dévisagez pas comme cela, filles élégantes de la ville
Si je suis si noiraude, c'est que le soleil m'a brûlée de ses rayons.
Les fils de ma mère se sont irrités contre moi
et m'ont envoyée surveiller leurs vignes,
Mais la vigne qui m'appartient, celle-là, je ne l'ai point surveillée.

La fiancée s'excuse auprès des filles de la ville et leur demande de ne pas s'offusquer de son teint hâlé. En fait, on vient de le dire, elle n'est pas noire de peau; brûlée, comme torréfiée par le soleil torride, ce hâle n'a pas terni ni altéré sa beauté naturelle.

Son père, ayant disparu, ne paraît jamais dans le Poème. Ses frères, probablement plus âgés qu'elle, ont été établis comme ayant autorité sur elle. On ne dit pas pourquoi ils se sont mis en colère contre elle; peut-être parce qu'elle leur a paru s'intéresser un peu trop vite ou trop tôt aux choses de la vie et de l'amour et que, ce faisant, elle a négligé de surveiller les vignes de la famille en empêchant les maraudeurs ou les prédateurs d'en dérober les fruits en train de mûrir ou les grappes arrivées à maturité.

Par le fait, elle n'a pas gardé sa propre vigne qui est (symbole de l'amour ou d'une jeune fille amoureuse) poétiquement, symboliquement, son amoureux. Plus, après l'avoir rencontré à l'occasion de son travail dans les vignes, elle l'a perdu de vue.

L'imagerie de l'épouse qui n'a pas gardé sa propre vigne parce qu'elle est à la recherche de son bien-aimé recouvre en partie celle du Ps 45(44) qui décrit apparemment un mariage royal dans lequel une fiancée venant d'un pays étranger est adjurée d'abandonner sa patrie et de s'attacher à sa nouvelle maison.

v 7
Dis-moi donc, toi que j'aime passionnément,
Où mènes-tu paître ton troupeau ?
Où fais-tu reposer tes bêtes à l'heure du midi ?
Dis-le moi, pour qu'on ne me prenne pas pour une coureuse,
lorsque je te cherche près des troupeaux de tes compagnons.

Elle le recherche à présent; elle l'interpelle; elle lui crie de donner signe de vie.

Dans toutes les campagnes, un troupeau, broutant de-ci de-là sans s'arrêter jamais, ressemble à un autre troupeau et, de loin, un berger ressemble à un autre berger. Pour éviter de courir ça et là, errant en tous sens, inquiète et affolée, parmi les troupeaux de brebis dispersés dans les pâturages, elle demande à leurs gardiens/bergers s'ils ne savent pas où est "son" pâtre. Le seul moyen de mettre un terme à son inquiétude et à son vagabondage éperdu, la seule façon d'éviter d'être prise pour une coureuse, c'est, pour la jeune fille amoureuse, de proposer à son chéri un rendez-vous.

Ce rendez-vous, à l'heure de la forte chaleur du midi, près du point fixe d'eau ou de la citerne que chaque berger connaît et se réserve, est le moment et le lieu tout désignés pour la méridienne. A ce moment-là, les troupeaux se reposent près des sources, à l'ombre des arbres ou des haies. Les brebis, abreuvées, se tassent les unes contre les autres, en paquets immobiles, la tête de l'une cachée dans la toison de l'autre. Le moment est alors favorable pour les échanges amoureux, dans le calme d'une nature écrasée par le soleil et brûlée par ses rayons.

C'est également auprès d'un puits et à l'occasion des travaux de la vie pastorale que Jacob avait rencontré Rachel (Gn 29:1-14), que Moïse avait rencontré Sippora (Ex 2:16-21).

v 8
Si tu ne le sais pas, toi la plus belle des femmes
Alors, de toi-même, marche sur les traces des pas des brebis
Et mène paître tes jeunes chèvres
Près des tentes des bergers.

Un groupe de pastoureaux est là pour calmer son angoisse. Ce sont peut-être les mêmes que les compagnons du verset 7. Ils lui conseillent de suivre son amoureux à la trace des sabots des brebis, sur les pistes ou les collines dénudées. La fille, qui se proclamait gardienne de vignes au verset 6, est maintenant bergère de chevreaux. Les deux figures se valent dans l'évocation poétique.

v 9
Je te compare volontiers, ô ma compagne,
à la fière pouliche d'un attelage royal.

Le chéri, invisible, fait l'éloge, comme de loin, de sa bien-aimée en dépeignant ses avantages physiques, sa beauté, sa taille toute de noblesse et sa fière allure.

Chez les anciens, le cheval était un animal précieux et estimé, grand ami des rois et des gens de race; l'attelage du cheval était d'un luxe parfois inouï. Dans les poèmes idylliques de la tente, la jeune fille est souvent comparée à une cavale, la monture royale du désert, la plupart du temps attelée à des chars, plus douce, plus rapide que le cheval. Homère, dans l'Iliade, dit que les juments d'Erichtonius étaient si légères à la course qu'en passant sur la terre, elles n'auraient pas rompu un épi et qu'elles couraient sur l'eau sans s'enfoncer. Hérodote parle de certaines cavales qui avaient remporté jusqu'à trois fois les courses de vitesse aux Jeux Olympiques (Hérod liv. 6).

La comparaison, qui n'a rien de déplacé, pourrait porter aussi sur la parure de la fille et sur sa prestance, car elle a tout pour plaire, séduire et fasciner (v 9). Jacob comparait son fils Issachar à un âne vigoureux (Gn 49,14). Théocrite a comparé la belle Hélène à un cheval de Thessalie attaché à un char (Idylle 18, Epithalame Helenae).

v 10-11
Tes joues sont désirables, entre les torsades de tes cheveux
Et ton cou dans les colliers de perles.
Nous ferons faire pour toi des chaînes d'or incrustées d'argent.

Le chéri parle à la première personne du pluriel: ce pluriel convient à une déclaration solennelle qui exprime une résolution. Mais la Bible ne fournit aucun exemple de pluriel de majesté. Ici, c'est un sujet vague: je te ferai faire, on te fera sur mon ordre....

La fille sera ornée des plus beaux atours de l'époque, à quoi s'ajouteront les cadeaux de la tendresse du garçon. Pour l'instant, fille de la campagne, elle en est dépourvue. Mais le chéri va lui offrir des bijoux de grand prix,

Les parures consisteront en deux sortes de bijoux: un collier, très large, à plusieurs rangées parallèles, faits d'une enfilade de perles très fines, de grains de corail avec des globules d'or et d'argent, les uns et les autres suspendus à une chaîne aux incrustations d'argent; des pendants d'oreille en or.

v 12
Tandis que mon royal amour est encore sur son divan
Mon parfum de nard a répandu son odeur.

Dans le Cantique, on change presque à tout moment de personnages. Tout à l'heure, c'était un berger et une bergère. Ici, on passe, pour le jeune garçon, de l'image du berger à celle du roi couché sur le divan, et à celle d'une "reine" qui s'approche du roi pour répandre sur lui le nard et les huiles parfumées. Le roi pour l'instant est roi parce qu'il plaît au poète de lui donner un royaume comme il lui plaira par la suite de lui confier un troupeau.

Le divan, en son évocation orientale, est utilisé pour le repas ou le délassement, mais aussi pour l'intimité amoureuse.

Le nard (cf aussi 4,13.14, du sanscrit "nalada", du persan "nârdin") est une plante aromatique d'origine indienne venue en Occident par l'intermédiaire de la Perse et dont on extrait un parfum de grand prix*. C'est l'une des choses qu'Adam avait emportées avec lui en quittant le paradis. Cette huile odorante est utilisée pour un charme d'amour lié au culte de la fertilité. Il faut en retenir l'idée de plante aphrodisiaque. Le nard est le symbole, précieux, de l'inexprimable tendresse de la jeune fille pour son chéri. Il peut signifier le parfum qui émane de la fiancée ou la fiancée elle-même: ce serait alors une fille de parents riches, habitant en ville, enflammée par la présence de celui qu'elle aime.

*Mc 14,3-5; Lc 7,37-38; Jn 12,3-5v 13

Mon amour est pour moi un sachet de myrrhe
Il passe la nuit entre mes seins.

Le chéri est comparé à un sachet de myrrhe, qui passe la nuit entre les seins de la bien-aimée. La résine de myrrhe, sécrétée par le "balsamodendron", le balsamier, était importée d'Arabie et d'Afrique. Elle a une saveur amère/âcre qui en a fait aujourd'hui le symbole de l'amertume. Mais ce qui est visé ici, c'est l'image de la myrrhe recherchée pour son parfum pénétrant et symbolisant les attraits du garçon, comme tout à l'heure le nard symbolisait ceux de la jeune fiancée. D'après Prov 7,17, la myrrhe excite les sens et a un effet aphrodisiaque. La fille porte constamment sur son coeur ce sachet et s'imprègne, sans en être jamais saturée, de son parfum doux et capiteux.

Le mot "dôd" ("le chéri, le bien-aimé") apparaît ici pour la première fois. Il sera prononcé 26 fois par la jeune fille dans tout le poème pour dire sa tendresse envers son amoureux. D'éloigné qu'il était, perdu dans la campagne, il est maintenant proche, blotti entre ses seins, envoûté par le parfum.

v 14
Mon amour est pour moi une grappe de henné
Au milieu des vignobles de la source du chevreau (Engaddi).

Le cypre* ("troène") est un arbrisseau de la famille des lythracées. Les arabes l'appellent "henné". Il était cultivé en Egypte, dans l'île de Chypre, et en Palestine, surtout à Ascalon. Il pousse encore dans la région de Jéricho. Ses fleurs blanc-jaune sont disposées en bouquets, ce qui permet la comparaison avec des grappes. Elles répandent une odeur très pénétrante et très agréable. Les feuilles brisées et desséchées donnent une poudre jaune et parfumée dont les Egyptiens et les Turcs se peignent les ongles et les femmes les mains et une partie des cheveux.

"Engaddi" (ou "Eîn Guèdi") se trouve sur la rive occidentale de la Mer Morte, au milieu d'un amphithéâtre de rocs escarpés accessibles aux seules chèvres, d'où son nom, "la source du chevreau/biquet" (cf Ct 1,8). Cette oasis exotique et insolite de vie, défilé luxuriant de verdure, de cascades, de senteurs d'épices, a été habitée (Jos 15,62) et on y cultivait le cypre, le palmier, la vigne et spécialement le baumier. Durant le règne de Josias (640-609), Engaddi était devenu un établissement royal et ses habitants étaient employés à la culture des plantes balsamiques et à la fabrication du baume. Le prophète Ezéchiel, citant ENGADDI, a fait une description véritablement paradisiaque des rivages de la Mer Morte transformés par une l'eau féconde qui va modifier les conditions de vie dans la Mer Morte (Ez 47,10). Pline l'Ancien écrivait: "De tous les parfums, celui qu'on préfère est le baume, dont seule de toutes les terres la Judée a le privilège" (12:54). Il s'agit précisément des domaines d'Engaddi et de Jéricho.

Le garçon est pour la fille qu'il aime, sa vigne, une parure odoriférante semblable à la parure des fleurs de henné dans les vignes d'Engaddi ou à la parure des fleurs qui ornent la fille et qui viennent d'Engaddi. A la promesse du garçon de la parer magnifiquement (1:9-11), elle répond que sa plus belle parure c'est lui, sur ses seins, en sa vigne.

* son nom grec "kupros" est une hellénisation du terme sémitique "kopher".

Echange de déclarations d'amour

v 15
Que tu es belle, ô ma compagne
Que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes.

"Que tu es belle !": c'est "le" compliment qui est adressé dix fois à la jeune fille dans le Cantique*. Sarah, elle aussi, était belle et Abraham a dû cacher qu'elle était sa femme pour qu'on ne la lui prît pas pour la donner au pharaon. Rebecca était belle et vierge. Rachel était belle et elle fut préférée, par Jacob, à Léa qui avait les yeux tristes.

Le procédé du poète consiste à comparer les diverses parties du corps humain non aux parties correspondantes des animaux (tes yeux sont "comme" ceux des colombes en 5,12), mais aux animaux eux-mêmes. Les yeux des colombes, rouge-ardent** sont inexpressifs; mais les qualités de la colombe sont la vivacité des mouvements, la douceur, le velouté, la pudeur, l'innocence, le plumage chatoyant***, la fidélité à son compagnon comme à son nid. Les couples de colombes passent beaucoup de temps à se regarder, c'est le signe de l'amour fou. Ils tirent toute la satisfaction de leurs regards réciproques. Trois choses donnaient la sérénité à l'homme: une femme au beau regard, une belle maison et de beaux vêtements.
*sur les onze emplois de l'adjectif "yaphah"
** Jacob avait comparé les yeux de son fils Juda à la couleur cramoisie du vin en Gn 49,12
***cf 2,14; 4,1; 5,2; 6,9

v 16
Que tu es beau, mon amour, que tu es fascinant,
Notre lit, c'est un tapis de verdure.

"Que tu es beau !": utilisé dix fois pour louer la jeune fille, l'adjectif "beau" l'est une seule fois pour signifier, comme d'un trait unique, toutes les qualités idéalisées que peut avoir un jeune homme amoureux et qui sont résumées dans le Ps 45,3: "Tu es le plus beau des enfants des hommes". Dans un autre registre, Joseph avait belle prestance et Moïse était beau; un chef qui est beau renvoie sur le peuple qu'il gouverne une image sécurisante.

La nature dans sa fraîcheur printanière forme le cadre verdoyant des amoureux de tous les temps. Ils sont allongés sous une hutte de feuillage, une tonnelle ou une cabane de branchages et sur un tapis de mousse, de gazon et de feuilles. Plus largement peut-être, ils vivent dans un pays de fleurs, de figuiers et de vignes, c'est le bonheur paradisiaque à l'état pur (cf Dt 8,7-10).

v 17
Les madriers de notre maison, ce sont les bois de cèdre
Nos lambris, ce sont les genévriers.

Le décor est champêtre; les splendeurs agrestes qui entourent les jeunes amoureux sont pour eux un environnement royal, un palais à ciel ouvert construit par la nature pour abriter leur amour naissant. Les branches des cèdres entrecroisées forment la charpente poutrée de la construction. Le cèdre, remarquable par son élévation, sa forme pyramidale, son port altier et majestueux, peut s'élever jusqu'à trente mètres, sur un tronc de quatorze mètres de pourtour. Ses branches nombreuses, larges et étendues, donnent une ombre épaisse (Ez 17,23), dont l'odeur résineuse est un parfum très fort et très agréable. C'est un bois ferme, poli, d'un beau jaune foncé rayé de rouge, très odoriférant, presque incorruptible; emblème de force et de puissance superbe; il exprime la majesté et l'orgueil. Le cèdre surtout est utilisé à profusion pour les parquets, le revêtement des murs, les colonnes et les charpentes. C'est le roi des arbres de l'Orient biblique, arbre que Dieu a planté (Ps 80,11), qu'il arrose (Ps 104,16), qu'il frappe de sa foudre (Ps 39,5), qui doit louer le Seigneur comme l'une de ses plus belles oeuvres (Ps 148,9). La permanence de son feuillage toujours vert, sa croissance prolongée en ont fait le symbole du juste (Ps 91,13).

Les cyprès* plantés alentour forment les lambris. Sous le nom de "cyprès" étaient comprises plusieurs espèces d'arbres ayant quelque rapport avec lui. Dioscoride et Pline appelaient genévrier ("juniperus excelsa") une espèce d'arbrisseau proche du cyprès. Le cyprès est un arbre de grande élévation. Son bois dur, solide, massif, rougeâtre, à grain fin, presque incorruptible, d'odeur aromatique, sert à la construction des temples et des palais, mais aussi des navires (Ez 27,5), des instruments de musique. C'est lui aussi un arbre toujours vert, même en hiver, portant des feuilles et des branches depuis le pied jusqu'à la cime. Le cèdre et le cyprès caractérisent la végétation du Liban** en même temps qu'ils valorisent les constructions de Salomon***.
*cf 2,14; 4,1; 5,2; 6,9
**2 R 19,23 = Es 37, 24; Ez 27,5
***1 R 5,22-24; 6,15; 7,2-8.

Chapitre 2

v 1
Je suis, moi, un narcisse de "sharon"
un lys dans la vallée.

La fille cherche ses comparaisons dans le domaine floral. Elle fait son propre éloge (comme en 1,5.12), pour vérifier qu'elle est toujours aimée par son amoureux. Pour cela, elle se compare au narcisse de Sharon (cf Es 35,1-2). Il s'agit du narcisse sauvage, gracile, aimé en Orient pour sa belle couleur jaune clair et pour son parfum. Il fleurit en hiver et dure jusqu'en mars/avril. Il est comme le précurseur de la végétation printanière. Clairsemée dans la montagne, c'est une fleur sauvage qui abonde dans les plaines*. Il s'agit ici d'un terme collectif pour parler d'une floraison vernale, d'un tapis de fleurs caractéristiques de la renaissance printanière et constituant une brillante parure plutôt que d'une seule fleur admirée pour sa beauté.

"Sharon" a le sens générique de "plaine". Il s'agit de la plaine par excellence, la plaine côtière, très exposée au soleil, plaine de sables mouvants, large de 13 à 20 km qui s'étend de Jaffa au Carmel (Jos 1,18), célèbre par sa richesse, sa beauté et sa fertilité, renommée pour ses vignes, ses bois et ses prairies humides, où paissent de nombreux troupeaux. Parsemée de mamelons, elle est marécageuse par endroits, coupée par plusieurs fleuves, traversée par des routes stratégiques et commerciales. Recouverte de fleurs, elle ressemble à un immense tapis rouge**.

Le prophète Osée et le Cantique parlent seuls du lys ("shoshanah"). Osée, décrivant le bonheur de la restauration consécutive au repentir, met en relief la prospérité, la sécurité et l'amour qui la caractériseront, et pour cela, il emploie des images tirées de la végétation palestinienne***. De quelle fleur s'agit-il ? Le "shoushan" ("suzanne") ou "shoshan" est certainement une fleur de la famille des liliacées ou d'apparence semblable. Ce n'est sans doute pas le lys blanc (en grec "leirion"), si commun dans nos pays, mais très rare en Palestine et qui croît surtout sur les hauteurs. La LXX l'a traduit par "krinon", "lys" en général, et non par "leirion", "lys blanc". On pense communément que l'appellation "shoushanah/krinon" vise indistinctement l'iris, la tulipe, l'anémone (Mt 6,28), la rose, le glaïeul, le lys des eaux (ou nénuphar blanc/lotus), le lys des vallées (ou muguet), l'amaryllis, en général des fleurs rouge ou orange de grande dimension en forme de coupe. La fleur mentionnée veut dire avant tout les caractéristiques de "shoushan", donc de la fille: un riche coloris et un délicat parfum. Le N.T. fera allusion à la richesse de son coloris, près duquel pâlissent les vêtements royaux de Salomon (Mt 6:28-29: Lc 12: 27-28).

"Dans la vallée" peut désigner une dépression profonde et étroite, mais aussi une simple plaine****. C'est dans les vallées que le tapis floral est le plus dense.

Ce verset évoque une floraison spontanée, flamboyante, caractéristique de la parure de la Palestine à la saison du printemps. Une relation étroite est établie entre l'homme et le cadre dans lequel il vit. La jeune fille se reconnaît fragile comme le sont les fleurs qui dépendent du soleil, de la pluie, de la rosée. Elle s'identifie avec la végétation printanière et indirectement avec le pays qu'elle personnifie si bien.
* il ne s'agit pas de l'asphodèle/colchique/crocus (?), qui croît non seulement dans les terrains fertiles, mais dans les lieux désertiques et sur les sables
**le prophète Esaïe (Es 35,2) associe la magnificence du Carmel et de Sharon à la gloire du Liban.
***Os 14,6-9: "Israël fleurira comme le lys" v 6 ; Ps 45,1
****1 R 20,28; Jos 13,19

v 2
Comme un lys entre les ronces,
Ainsi est ma compagne parmi les filles.

Le chéri renchérit sur les louanges qu'elle s'était données en se disant être un lys de la vallée. Il renvoie son compliment à la fille en l'assortissant d'un effet de contraste: lys-ronces*; il s'agit d'une espèce de ronces ou de chardons qui poussent dans les terrains incultes (Es 34:13; Jb 31:40) ou dans les ruines**. Il est probable qu'il s'agisse de chardons, grands de taille et répandus dans toute la Palestine. Les chardons, les ronces et les broussailles d'épines sont regardés comme le fruit de la malédiction de la terre (Gn 3,18); ils marquent la désolation d'un pays, ils sont le fléau de l'agriculture; se multipliant facilement, ils résistent aux traitements qui voudraient les détruire; ils fournissent du combustible (Ex 22:6).

Cet effet de contraste est donc absolu: "lys et chardons/ronces" représentent les deux extrêmes de la végétation spontanée: il ne s'agit pas d'une rose parmi les épines de sa propre tige, mais d'un lys parmi des plantes épineuses.

La réponse du garçon montre que ce qui est essentiel pour lui, c'est ceci: autant le lis l'emporte sur les épines broussailleuses et sur les ronces, autant la fille l'emporte sur les autres jeunes filles, qui ne sont pas des épines, elles. Pour lui, si sa fiancée est une fleur, cette fleur est seule de son espèce parce qu'elle les résume toutes en elles et que les autres ne sont que des ronces. Sans rivale, elle n'a rien à craindre des autres filles en général***, c'est- à-dire des filles à marier.
*"hohim" épines/chardons/ronces désigne, non des épines, mais des ronces
**avec d'autres plantes apparentées, nommées "kimos" chez Os 9,6
***Gn 30:13; Es 32:9

v 3
Comme un pommier parmi les arbres de la forêt,
ainsi est mon amour parmi les jeunes gens.
A son ombre, j'ai trouvé le bonheur que je cherchais et j'y repose.
Et son fruit est doux à mon palais.

La fille, continuant à se parler à elle-même, dit tout haut son bonheur d'avoir retrouvé son fiancé. C'est l'instant, après les recherches inquiètes et vagabondes, de la tranquille possession. La description parallèle qu'elle fait maintenant de son chéri porte sur le contraste entre un arbre cultivé, utile et fructifère, aux fruits comestibles et parfumés, et d'autre part avec les arbres sauvages d'une forêt aux fruits amers, sans saveur ni odeur. L'idylle a commencé sous un pommier, arbre cultivé en Palestine (*1). En Palestine, on rencontre le pommier dans les vergers et près des habitations, rarement dans les jardins. Cet arbre fruitier a été importé d'Egypte. Ramsès en fit planter dans les jardins du Delta. Le "pommier" ou "tapouah" est ainsi nommé à cause du parfum de son fruit. Il est souvent cité en énumération avec les autres arbres fruitiers de la Palestine: figuiers, amandiers, grenadiers, oliviers, abricotiers, orangers, citronniers, cognassiers, arbres cultivés qui se dessèchent au temps de la calamité (Jl 1,12). Ici il est cité comme symbole de tous les arbres fruitiers en général *.

Son fruit, doux à la bouche, réconforte et rafraîchit; il répand une suave odeur. De même que le "lys" est la désignation concrète d'une fleur, laquelle aurait pu être le narcisse ou l'asphodèle, ainsi le pommier est la désignation concrète de l'arbre des vergers et des jardins, l'arbre utile, qui aurait aussi bien pu être le figuier ou le grenadier, par opposition à la stérilité des arbres de la forêt qui ne portent pas de fruits. Un pommier au milieu des arbres touffus, aux fruits non comestibles d'une forêt, c'est la réponse comparative de la jeune fille comme lys au milieu des chardons et des épines. Atmosphère de poésie pure, agreste parfum de ces images.

C'est un arbre à l'ombre duquel on peut se reposer. L'arbre offre en effet et tout à la fois son ombre et son fruit et la fille jouit de l'un et de l'autre. L'ombre tempère la chaleur; le fruit lui donne son rafraîchissement. L'image de l'ombre, caractéristique du soir (Jr 6:4) est souvent utilisée pour signifier la protection d'une puissance politique (*2) ou celle de Jahwé (*3). Cependant le maigre feuillage du pommier serait un symbole bien déficient. Par temps de chaleur, on évite même l'ombre de cet arbre fruitier, car son feuillage est moins protecteur que celui d'autres arbres des forêts. En fait, pour la jeune fille, il n'y a place pour aucun autre sentiment que celui de l'amour. Parmi tous les arbres de la forêt qui sont stériles et dont la seule vertu est de donner de l'ombre et du bois, ou parmi les arbres des vergers, c'est à l'ombre du pommier qu'elle désire s'asseoir, non pour se protéger du soleil, mais pour être, désir passionné, près de son bien-aimé, à l'ombre de son corps.

Le verbe "hamad" (désirer, convoiter) exprime le désir passionné, l'attachement légitime à des biens précieux, matériels (Ps 39,12) ou spirituels (19,11), comme dans Ct 5,16; sur 65 emplois de la racine "hamad", la convoitise au sens sexuel du terme est rare (*4).

Le fruit, au sens métaphorique, est la récompense tangible de la conduite morale (Pr 8:19). Ici il s'agit des joies goûtées par la jeune fille en compagnie de son tourtereau (*5). Elle est amoureuse, elle a mangé des pommes dont le parfum excite et symbolise l'amour; puisque son chéri est comparé au pommier, ce qui est doux à son palais est le baiser qu'il lui a donné. L'adjectif "doux"caractérise le miel (*6), mais n'est pas employé pour cela dans Cant 4:11.

Le verbe "venir" "boh" paraît à huit reprises dans le Cantique. Et partout, sauf à 8,11, il a trait à la réunion des deux amoureux. En 2:8, le jeune homme vient chercher la jeune fille là où elle se trouve actuellement; les autres textes parlent d'une union qui se présente, au moins au premier regard, comme définitive, soit qu'il soit prié de venir à elle (3,4; 4,16; 5,1; 8,2) soit qu'elle aille à lui (1,4; 2,4).

"La maison du vin" est le cellier où le vin se garde, se goûte et se boit. La Palestine étant un pays de vignobles, le vin est toujours nommé dans l'énumération des produits agricoles, soit à côté du froment seul, soit avec le froment et l'huile (*7). Il est hors de doute que le vin, boisson énivrante (Es 28:7) n'est mentionné dans le Cantique que comme symbole grisant de l'amour (*8).
*1) mentionné par Jl 1,12; Jos 12,17; 15,34; deux anciennes villes en portaient le nom (Jos 12,17; 15,34)
*2) Jg 9,15; Ez 17,23; 31,6.12-17; Os 14,8
*3) l'ombre des ailes, familière aux psalmistes: Ps 17,8; 57,2; 63,8
*4) si Prov 6,25 l'applique à la femme, 12,12 l'applique aux choses
*5) et réciproquement en 4,13,16; 8,11-12
*6)Jg 14,14.18; Ps 19,11; 119:103: Ez 3:3
*7) Dt 7,13; 11,14; 12,17; Jr 31,12; Jl 1,10; 2,19.24; Ps 4,8; etc
*8) Ct 1,2; 4,10; 5,1; 7,10; 8,2.

v 4
Il m'a fait entrer dans la cave à vin
Et son enseigne au-dessus de moi, c'est: "A l'ivresse d'amour".

Simple changement scénique ? A l'admiration mutuelle de 2:1-3a succèdent en 2:3b-6 les caresses les plus intimes. La scène du jardin est dépassée en intimité par celle du festin (cf Est 7,8), de l'auberge, de la cave à vin ou du cellier en hauteur. Cette "maison du vin"*, logis symbolique comme les "appartements du roi", n'est ni un simple bistrot, ni une auberge, ni une salle de festin, ni un cellier. C'est une salle des banquets de noces. On peut remarquer que les anciens ne plaçaient pas leur réserve de vin dans des caves obscures, mais la plupart du temps dans un lieu élevé de la maison, avec d'autres provisions. Homère, dans l'Odyssée, signale que dans le palais d'Ulysse, on conservait le vin et l'huile dans de grandes jarres rangées le long des murs de l'appartement d'en haut, où se trouvaient aussi l'or, l'argent, les vêtements et souvent le lit nuptial.

Cette maison du vin/salle des banquets de noces est désignée par un panneau: "A l'enseigne de l'Amour". Cette enseigne est-elle un étendard flottant sur le cellier ou sur l'hôtellerie où se débite le vin ?** Le sens qui lui est partout attribué dans la Bible est celui d'un signe de ralliement (Es 5,26; 11,10). Dressé à la vue des nations pour leur intimer d'avoir à libérer les captifs***, il est un signal qui attire et qui rassemble. Chez les arabes préislamiques, on dressait un drapeau sur le cellier où l'on distribuait le vin.

Cette inscription en tout cas fait penser qu'il s'agit du lieu où ils s'enivrent l'un de l'autre par des caresses supérieures au vin (1:2) et que c'est soit la demeure bucolique de 1:16-17 soit la chambre de 1:4. La fille est conviée au festin de l'amour.

L'armée entière de l'amour est mise en branle pour conquérir celle qui n'aspire qu'à cette possession délicieuse et indéfinissable.
*Jr 16,8; Qoh 7,2
**Nb 1,52; 2,2s.10.17s.25.31, etc.
***Es 11,12; 49,22; 62,10

v 5
Restaurez-moi avec des gâteaux de raisin
Fortifiez-moi avec des pommes d'amour.
Oui. Je suis malade d'amour.

Les amoureux, ici l'un en face de l'autre, laissent déborder leur joie de se posséder mutuellement et c'est l'excès de ce sentiment qui fait défaillir la bien-aimée. La fille, enivrée et assaillie par ses transports passionnés, est malade d'amour, au point d'en défaillir*. Elle est prise de langueur et proche de l'évanouissement, non pas parce qu'elle a trop bu à la source amoureuse (comme pour le vin qui saoûle), mais pour avoir goûté aux caresses voluptueuses du chéri. Il lui faut un remontant. Vite qu'on la soutienne et la ranime ! Elle demande du secours à son entourage. Elle a besoin de reconstituer à la fois ses forces physiques et sa puissance amoureuse, épuisées par la jouissance. Elle passe commande aux serveurs imaginaires de cette salle des noces fictive d'un fruit réconfortant. C'est indirectement à celui qu'elle aime qu'elle s'adresse en appelant les serveurs.

Puis, comme autre stimulant et comme cordial, elle réclame une pâtisserie; il peut s'agir de "gâteaux de raisin".** Elle réclame aussi des pommes odorantes qui sont à la fois nourrissantes et aphrodisiaques. Au Moyen-Age, on offrait une pomme au malade comme remontant. Tout est bon dans la pomme: son odeur extraordinaire, sa chair, sa pelure; il n'y a presque rien à jeter. Dans Ct 2:3 et 7:9, le parfum de la pomme excite l'amour et le symbolise. En Syrie, on avait l'habitude de respirer la senteur d'une pomme en cas de maladie.

Les filles de la Ville, aux abords de la salle des vins, n'y ont pas été introduites puisque le gars va les adjurer de ne pas troubler le sommeil de sa bien-aimée (2:7).
*cf Amnon qui aimait sa soeur Tamar et qui en devint malade (2 Samuel 13, 1-2)
**Os 3,1; 2 S 6,19; 1 Ch 16,3; Es 16,7: nourriture fortifiante qu'on offrait aux idoles

v 6
Son bras gauche est sous ma tête
Son bras droit m'enlace.

L'ami a tressailli à l'appel de la fille défaillante. Il accourt et la soutient de ses bras et de ses mains, comme une porcelaine inestimable et fragile. La fiancée semble s'être laissée choir sur le tapis ou le divan de la salle du festin. Le garçon relève sa tête chancelante et la tient embrassée. Les amoureux, dans la démonstration réciproque d'un bonheur magique et sans nuages, s'étreignent l'un de l'autre et semblent n'avoir rien à désirer de plus.

v 7
Pour l'amour du ciel, filles de la Ville,
Par les gazelles ou par les biches des champs
N'éveillez pas, ne réveillez pas l'Amour,
Avant le moment de son bon plaisir.

La gazelle est une des pièces de gros gibier qu'on rencontre fréquemment dans le paysage palestinien. Animal symbole réputé pour sa sveltesse*, sa célérité, son allure gracile, il a les membres fins, l'oeil vif et doux, en éveil à la moindre alerte, remarquable de douceur, de timidité et d'élégance, facilement apprivoisable; c'est par l'animal le plus séduisant et le plus gracieux de son troupeau que la fille fait ses adjurations.

Le cerf est compté parmi les animaux purs (Dt 14,5) et considéré comme le mets par excellence (Dt 12:15).

La biche est l'une des bêtes les plus gentilles de la création**, célèbre par sa légèreté, son amour maternel sans failles, son naturel craintif. Cerfs et biches sont, dans ce cadre champêtre, par leur beauté, leur nature attachante en même temps, leur agilité***, les symboles mêmes d'une passion amoureuse en liberté, non encore apprivoisée.

La fille s'est endormie, assoupie de volupté et comblée, sans qu'on puisse douter que les amoureux ont couché ensemble; abandonnée aux bras de son amant, elle repose, protégée par le garçon, du plus doux des sommeils: un sommeil plein du bonheur de la mutuelle possession.

Le garçon s'est levé de grand matin, laissant sa fiancée endormie. Il est parti à la campagne ou à la chasse. En route, il rencontre les filles de la Ville venues chanter aux fenêtres de la jeune fiancée. Il s'adresse à elles. Dans un geste de tendresse, il fait une sorte de serment "par les biches et les gazelles" pour ne pas introduire le Nom divin: cette situation est unique dans la Bible. Les gazelles et les biches, qui personnifient le charme des collines et des déserts au même titre que le lys et le narcisse celui des plaines, évoquent une prodigieuse rapidité et une grande douceur. Il les conjure d'attendre que sa bien-aimée se réveille d'elle-même, pour ne troubler ni son sommeil ni ses rêves de jeune amoureuse.
*2 S 2,18; Es 13,14; Prov 6,5
**Gn 49,21; 2 S 22,34; Hab 3,19; Prov 5,19***pour la gazelle: 2 S 2,18; Pr 6,5; pour la biche: Es 35,6; Hab 3,19; 2 S 22,34

Conclusion : ce premier poème a montré que chacun des deux amoureux a trouvé en l'autre l'unique. Cette relation d'amour est joyeuse et non triste, elle ne se préoccupe pas de fécondité. C'est une description de l'amour érotique réciproque et de l'union sexuelle authentique comme ayant sa fin en soi. Un garçon et une fille peuvent se donner l'un à l'autre d'un amour débarrassé du souci d'une autre fin que lui-même, accomplissant le plan de Dieu dans sa création. C'est l'amour de Dieu pour les hommes qui est le modèle de référence de l'amour de l'homme pour son prochain et particulièrement pour le prochain le plus proche, l'amant.

Ce poème est, en quelque sorte, l'ouverture et, en un sens, le sommet du Cantique des Cantiques.

orchidée


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