Cantique des Cantiques
traduit et commenté par
camille-paul cartucci, metz 1995
P O E M E 3 Ct 3:6-5:1
Epithalame (ou poème nuptial composé en l'honneur de nouveaux mariés) pour le mariage de SALOMON avec une princesse qui vient depuis le désert:
Qui donc arrive du désert, comme une colonne de fumée,
comme un nuage odorant de myrrhe, d'encens
ou de toute sorte de parfums exotiques ?
Voici la litière du roi Salomon, entourée par soixante hommes d'élite d'Israël.
Ils sont tous armés d'un glaive, entraînés au combat.
Chacun d'eux porte son arme à la hanche,
pour se protéger des dangers de la nuit.
Le roi Salomon s'est fait fabriquer un palanquin en bois du Liban,
dont les colonnes sont faites d'argent,
la tapisserie d'or, l'intérieur a été garni, avec amour,
de tissu de pourpre par les filles de Jérusalem.
Filles de la Ville, sortez donc et venez voir le roi Salomon.
Il porte la couronne dont sa mère l'a orné le jour de ses noces,
jour de grande joie pour son coeur.
Rêve fou
(lui) Que tu es belle, ma chérie, que tu es belle
Tes yeux, à travers les boucles de tes cheveux,
ont (le même charme) que ceux des colombes ,
Tes cheveux (ondulent) comme un troupeau de chèvres noires
qui dévalent les pentes de la montagne de Galaad.
Tes dents blanches, deux à deux,
font penser à un troupeau de brebis qui vont être tondues
et qui remontent du lavoir.
Jumelées, aucune ne manque.
Tes lèvres (ressemblent) à un ruban écarlate; ton parler est fascinant.
Ta tempe, entre les boucles de cheveux, est comme une tranche de grenade.
Ton cou a l'aspect d'une tour de David, bâtie pour les trophées:
mille boucliers, toutes les armures des héros y sont suspendus.
Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d'une biche
paissant parmi les lys.
Avant que souffle la brise du jour et que les ombres s'effacent,
J'irai vers la montagne de la myrrhe, vers la colline de l'encens.
Tu es si belle, ma chérie; je ne trouve en toi aucune imperfection.
Avec moi, ma fiancée, du Liban
Avec moi, du Liban, tu viendras.
Tu dévaleras les pentes du sommet de l'Amanah,
du haut du Sénir et du Hermon,
depuis les repaires des lions et les montagnes où sont les léopards.
Tu m'as ensorcelé, ô ma soeur, ma chérie,
Tu m'as ensorcelé par un seul de tes regards,
par un seul des diamants de (suspendus à) ton cou.
Qu'elles sont douces, tes caresses, ma soeur chérie
Qu'elles sont délicieuses tes caresses, plus que du vin.
Et la senteur de tes parfums (est plus forte)
que tous les aromates (baumes odorants).
Ma chérie, tes lèvres distillent la douceur du nectar,
Du miel et du lait sont sous ta langue,
Le parfum de tes vêtements est comme un parfum du Liban.
Ma soeur chérie, tu es un jardin verrouillé,
une source close, une fontaine scellée !
Tu respires un parfum de verger paradisiaque
planté de grenadiers aux fruits succulents :
(y confluent) les cypres (hennés) avec les nards, le nard et le safran,
la cannelle et la cinnamome, toutes les espèces de bois odorants,
et aussi les senteurs de myrrhe et d'aloès
avec celle des plus fins de tous les aromates.
Fontaine des jardins, puits des eaux vives,
ruisseaux qui dévalent du Liban (tu es) !
(elle) Réveille-toi, rafale du Nord, viens, brise du Sud,
Soufflez sur mon jardin; qu'il exhale ses aromates !
Que mon amour entre dans son jardin
et qu'il goûte la succulence de ses fruits !
(lui)
Je suis entré dans mon jardin, ma soeur chérie,
J'ai fait la récolte de ma myrrhe avec mes herbes parfumée
J'ai mangé mon rayon avec mon miel,
J'ai bu mon vin avec mon lait.
(choeur)
Mangez, compagnons
Buvez et saoulez-vous d'étreintes !
POEME 3 Ct 3:6-5:1 Commentaire
Ancien épithalame composé à l'occasion d'un des mariages de Salomon avec une princesse étrangère, une Egyptienne qu'il envoie chercher au-delà du désert par sa garde royale, dans un palanquin. Epithalame maintenant réutilisé par la fille et appliqué dans son rêve à sa propre situation. C'est elle en tout cas qui parle.en citant l'ancien poème. C'est une description admirative se développe et où (cas unique) elle est appelée "fiancée" par son amoureux, aboutissant à la consécration de leur union.
v 3,6
Qui donc arrive du désert, comme une colonne de fumée
comme un nuage odorant de myrrhe, d'encens
ou de toute sorte de parfums exotiques ?
L'utilisation de l'interrogation est un procédé rhétorique oratoire assez fréquent pour introduire avec emphase l'affirmation d'un fait ou une description*.
Des marchands-ambulants, des parfumeurs, venaient des pays lointains et apportaient des produits aussi rares et appréciés que les épices au 17ème siècle en France. Ils avaient sur eux des parfums de poudre destinée à être brûlée** et des produits variés des pays lointains.
On disait de ces voyageurs qui venaient des régions aussi lointaines que celles du Tigre et de l'Euphrate*** qu'ils "montaient" du désert vers Jérusalem (Gn 50,5-6). En effet, "monter" est un terme technique pour signifier la montée d'Egypte, s'appliquant à la montée de Jérusalem hors de Babylone, ou encore terme consacré pour "aller à Jérusalem ou à Sion qui est sur la hauteur".
Le "Midbar" désigne la steppe où pousse une végétation spontanée que broutent les troupeaux, et qui s'oppose aux régions cultivées et habitées****, en définitive le désert. Il s'agit soit du désert de Juda soit du grand désert syro-arabique qui mérite ce nom par excellence (Jg 11,22) Ou encore le désert de la campagne brûlée en été qui entoure la ville.
La colonne de fumée odorante, faite de myrrhe et d'encens que l'on aperçoit, c'est la fumée des torches à la tombée de la nuit quand on amène la fiancée chez son futur mari, L'encens est surtout utilisé dans le rituel mosaïque*****. Normalement l'encens est toujours employé pour le culte, le seul emploi non cultuel est Es 60,6 où il s'agit encore d'offrande; le passage de l'usage sacré à l'usage profane s'est fait sous l'influence de l'Egypte où ce parfum est très utilisé. On fait alors brûler le parfum d'encens en l'honneur d'un grand personnage. Ici on fait allusion à la préparation de l'encens pour qu'il s'élève en colonne droite, ce qui était très difficile. C'était le secret de certaines familles.
En Ct 4,6, la myrrhe et l'encens symbolisent les charmes de l'un des amoureux (Ct 1,13; 4,14; 5,1.5.13).
*Es 60,8; 63,1; Jr 46,7
**Ex 9,9; Dt 28,24
***Esd 1,3.11; 2,1,59; 4,2; 7,6.7.28; 8,1; Ne 7,5.6.61
****cf Os 2,5.16-17; Jb 38, 26-27
*****Ex 30,34; Lv 2,1-2. 15-16
3,7
"Voici le lit de Shelomo, soixante héros sont autour de lui, des héros
d'Israël"
Le roi a fait envoyer une litière pour chercher la fille, future reine, à Jérusalem.
Le chiffre rond ou parfait de 60 désigne un nombre
considérable dans la littérature néo-hébraïque*. Il s'agit de preux, de l'escorte
royale, l'élite de l'élite, qui accompagnent la litière comme si leur maître était
dedans, pour honorer la personne transportée royalement, à la façon des coureurs de 1 S
22:17.
*Dt 3,4; 1R 4,13
3,8
Ils sont tous armés d'un glaive, entraînés au combat
Chacun d'eux porte son arme à la hanche
pour se protéger des dangers de la nuit.
C'est plus qu'une garde d'honneur. C'est un déploiement de puissance: une garde rapprochée toujours en armes, l'épée au flanc, est mise en place en prévision de surprises nocturnes; elle doit écarter les fauves et les pillards et protéger la fille de l'insécurité générale des routes et éventuellement d'un rapt.
3,9
Le roi Salomon s'est fait fabriquer un palanquin en bois du Liban
3,10
dont les colonnes sont faites d'argent, la tapisserie d'or;
l'intérieur a été garni, avec amour, de tissu de pourpre
par les filles de Jérusalem.
Le palanquin est une chaise à porteurs, il est la
litière nuptiale de l'épouse, que le roi a fait construire et qu'il a envoyé chercher
celle qu'il veut épouser,
Le pavillon nuptial du roi Salomon est la salle du trône, un édifice bâti par le roi
pour y recevoir la jeune égyptienne.
3,11
Filles de la Ville,
sortez donc et venez voir le roi Salomon
Il porte la couronne dont sa mère l'a orné le jour de ses noces
jour de grande joie pour son coeur.
Ici commence au sens strict le Poème III, avec lequel
l'action reprend comme à son début. Le Poème II s'était achevé dans le sentiment de
l'extase et de la béatitude: la fille s'était abandonnée à l'amour du chéri; le
bien-aimé surveillait le sommeil délicieux de la fiancée.
Dès le premier vers du poème III, la contemplation de la bien-aimée recommence, comme
au début des poèmes I et II. Mais la situation est tout à fait différente.
Dans le Poème III, la fille est subitement transportée sur les sommets du Liban (4,8),
puisque l'amoureux l'invite à en descendre. S'il fait cette invitation, c'est qu'ils ne
se trouvaient pas ensemble sur les hauteurs. Sinon, ils eussent pu jouir de leur bonheur
sur ces sommets solitaires, propices aux confidences. Mais ils tendent à se rejoindre et
toute l'action du poème a pour but de préparer cette rencontre.
Le garçon entre en scène et il l'occupe largement. Le Cantique y gagne en intérêt.
Tout lui obéit. Rien ne contrarie ses desseins, pas même les caprices apparents et les
jeux de sa tendresse. Il vient, se montre, entre quand il veut, se retire quand il lui
plaît: l'épouse est toujours là, à ses pieds, affectueuse.
4,1
Que tu es belle, ma chérie, que tu es belle.
Tes yeux, à travers les boucles de tes cheveux, (ou: derrière ton voile)
ont (le même charme) que ceux des colombes.
Tes cheveux (ondulent) comme un troupeau de chèvres noires
qui dévalent les pentes de la montagne de Galaad.
Le garçon reprend ses expressions champêtres de Ct
1:15. L'amour redit toujours les mêmes choses sans se répéter jamais.
Le voile, qui est ce qui est serré autour de la tête, fait partie du costume féminin.
Il est transparent et laisse deviner la beauté du visage.
La chevelure de la fille, comparée à un troupeau de chèvres, est une abondante toison
noire, longue, souple, qui "dévale" sur ses épaules, et qui a des ondulations
semblables à celles des chèvres qui descendent les pentes des monts de Galaad, région
de hauts plateaux en Transjordanie riches en troupeaux de chèvres. On sait que la chèvre
de Palestine est remarquable pour son long poil noir, d'un brun foncé ou roux sombre. Les
plateaux des monts de Galaad, de leur côté, sont réputés, à cause de leur bonne
irrigation, pour leurs gras pâturages, leurs herbages* et leur forêts (cf 2 S 18,6-9).
Le pays de Galaad (Gn 31,21) était réputé pour ses aromates, utilisés comme remèdes
et ingrédients d'embaumement **.
Tentes de Cédar et de Salem, cavale de pharaon, vigne d'En Gaddi, monts de Galaad,
appartiennent à la même nomenclature de rêve idyllique, en attendant la tour de David,
la tour du Liban, les sommets de l'Amana, du Sanir et de l'Hermon, la piscine d'Heshbon à
la porte de Bath-Rabbim.
*Nb 32,1.4; Jr 50,19; Mi 7,14
**Jr 8,22;46,11; Ez 27,11
v 2
Tes dents blanches, deux à deux,
font penser à un troupeau de brebis à tondre
qui remontent de la baignade
La description des charmes de la fille se poursuit: après les cheveux, les dents. Elles sont comparées à des brebis dont il est plus juste de dire qu'elles sont à tondre (et non tondues), Car il n'y a rien de plus laid qu'une brebis fraîchement tondue et de plus dangereux que de la baigner après la tonte, qui a lieu au printemps. Elles remontent du lavoir, après leur toilettage: leur toison est blanche, d'une blancheur de neige. Les dents de la fille, parfaitement symétriques, ont donc la fraîcheur lactée des toisons blanchies des brebis.
v 3
Tes lèvres (ressemblent) à un ruban écarlate; ton parler est
fascinant.
Ta tempe, entre les boucles de cheveux,(ou: derrière le voile de ta chevelure) est
comme une tranche de grenade.
Les lèvres de la fille, en raison de leur finesse et de
leur couleur, sont comparées à un fil écarlate*. L'écarlate/vermeil était, pour les
anciens, la couleur éclatante par excellence.
Dents blanches, chevelure noire, lèvres rouges, charme de la parole et du son de la voix:
la fille a tous les atouts de la beauté et de la séduction...
La terre de Palestine fut décrite comme étant une terre qui produit le figuier,
l'olivier**, le palmier-dattier et le grenadier (Dt 8,8; Ag 2,20). La grenade est un fruit
très rafraîchissant, dont on fait du moût. L'écorce de la grenade, arrivée à
maturité, se déchire et laisse voir son contenu. La forme arrondie du fruit et la teinte
rouge sombre/rosée de son écorce suggèrent cette comparaison.
Ainsi apparaît le visage de l'épouse, entre ses tresses ou les plis de son voile. Ou
encore, la joue ou la pommette de la fille est comparée à une moitié de grenade.
*Gn 38,28.30; Jos 2,18.21
**malgré son importance économique et sa symbolique biblique, il n'est jamais question
d'olivier dans le Cantique. Le blé, le vin et l'huile font partie des biens
eschatologiques annoncés par les prophètes (Jr 31:12; cf Os 2:10).
v 4
Ton cou a l'aspect d'une tour de David, bâtie pour les trophées:
mille boucliers, toutes les armures des héros, y sont suspendus.
Les images guerrières ("bâtie en forteresse") sont assez fréquentes dans le Cantique et la poésie y est plus vraie que l'histoire. Le mot "bouclier" ("magen")* pourrait conduire à Ez 27:10-11 où il est question d'une lamentation sur Tyr et des boucliers des vainqueurs: "Perses, Lydiens, Libyens servaient dans ton armée comme gens de guerre; ils suspendaient chez toi le bouclier et le casque; ils faisaient ta splendeur. Les fils d'Arvad et leur armée garnissaient tes remparts, tout autour, et parachevaient ta beauté". En effet, les guerriers, à la fin de la guerre, dans un moment où nul péril n'était plus à craindre, se débarrassaient de leur équipement lourd et encombrant. Ces boucliers, qui ne sont pas les trophées de l'ennemi, étaient accrochés aux murs. Ils ornaient ainsi les créneaux des tours, et signifiaient, par leur beauté austère, la force tranquille de la paix armée, faite de prospérité, de puissance et de sécurité. Telle sera la Jérusalem nouvelle: "Advienne la paix dans tes murs. Paix à tes châteaux" (Ps 122:7).
*"1000": souvent le nombre "mille " est mis pour une quantité indéfinie
L'éloge de la ville de Tyr devient l'exaltation de la fille. Et il faut faire place à l'hyperbole littéraire des pays d'Orient pour en comprendre la comparaison. La longueur du cou entrait dans le canon de la beauté orientale. Le cou de la fille est comparé, majestueux, à une tour de David, bâtie pour les trophées, garnie de bijoux d'or, d'argent et de pierreries qui pendaient à son cou comme les boucliers étaient suspendus aux tours des villes fortes: c'est une allusion à l'exploit historique de David, enlevant les boucliers d'or aux soldats d'Hadadezer, roi de Soba (2 S 8,7.11) pour les consacrer à Jahwé (?). Le cou est rehaussé par un collier fait de petits disques ou de pièces de monnaie suspendus ou enfilés à une chaîne, ce qui ressemble aux boucliers accrochés aux murs. L'image de la tour représentant le cou continue avec les seins: voilà le défilé, la gorge, que garde cette tour.
v 5
Tes deux seins sont comme deux faons,
jumeaux d'une biche paissant parmi les lys.
Le poète continue à mettre en valeur la beauté de la fille. La description élogieuse du corps de la fiancée fait penser à la poésie chantée lors des noces syriennes, et dans laquelle sont célébrées la beauté de la charmante et la splendeur de ses atours. On rencontre de tels éloges dans la poésie égyptienne et dans les poèmes érotiques de tous les temps. Le lys est là pour son parfum plutôt que pour sa couleur; les deux seins émergent de la blancheur de la poitrine comme les deux têtes des faons paissant au milieu des lys, jusqu'au point du jour. Le pâtre qui paît jouit de son bonheur unique.
v 6
Avant que souffle la brise du jour et que les ombres s'effacent
J'irai vers la montagne de la myrrhe, vers la colline de l'encens.
Myrrhe et encens désignent les charmes et atours de la
jeune fille.
L'encens est une gomme-résine, faiblement translucide, d'une saveur amère et répandant
une odeur balsamique lorsqu'il est brûlé*
La myrrhe, espèce de gomme résine odorante, de saveur âcre, d'odeur balsamique, se
présente après excision du balsamodendron, sous la forme d'un liquide visqueux et
d'odeur agréable. Les orientaux ont fait de la myrrhe une des compositions aromatiques
dont ils parfumaient leurs habitations, leurs vêtements et les lits**. Elle servait aussi
à embaumer les morts. L'arbre producteur de myrrhe est importé d'Arabie, de Nubie et
régions voisines.
*"lebonah" devenu LXX "libanos"-
Vulg "thus" ; d'après l'Ecriture, c'est de l'Orient, du pays de Saba, que
venait l'encens :Jr 6,20; Ez 27,22.
**Ps 45,9; Prov 7,17
v 7
Tu es si belle, ma chérie; je ne trouve en toi aucune imperfection
Le garçon jette un regard d'ensemble sur sa bien-aimée et résume son impression dans une phrase où tout est dit de son harmonie physique: la fille est d'une beauté achevée ("mûm"). La beauté d'Absalon était elle aussi sans défaut et exprimée dans les mêmes termes que celle de la fille dans 2 S 14:25: "De la plante des pieds au sommet de la tête, il était sans défaut".
On a trouvé sur une épitaphe égyptienne de la XIX ème dynastie la louange suivante:
"Douce, douce d'amour, la prêtresse Moutiritis
douce, douce auprès de tous les hommes,
maîtresse d'amour parmi les femmes.
C'est une fille de roi, douce d'amour,
belle entre les femmes,
une fille non pareille à voir.
Noirs sont ses cheveux, plus noirs que la nuit,
plus que les baies du prunellier;
blanches sont ses dents,
plus que les dents de silex sous la faucille;
deux couronnes de fleurs sont ses seins,
bien dressés sur sa poitrine...."
v 8
Avec moi, ma fiancée, du Liban,
Avec moi, du Liban, tu viendras.
Tu dévaleras les pentes du sommet de l'Amanah,
du haut du Sénir et du Hermon,
depuis les repaires des lions et les montagnes
où sont les léopards.
Une poésie qui s'alimente aux sources et aux beautés de l'Egypte, du désert et d'espaces somptueux. Le Liban, l'Amana*, le Sanir, l'Hermon sont les contrées et les montagnes que l'on sait. Ce ne sont pas des noms donnés au hasard pour désigner globalement les montagnes les plus hautes et les plus sauvages du Nord palestinien. La montagne Amana correspond au djebel Zebedani, où prend naissance la rivière Barada. Ce djebel est un pli du système de l'Anti-Liban, un des sommets de l'Anti-Liban, et prend naissance dans la partie septentrionale de la chaîne de l'Hermon, entre Baalbeck et Homs. L'Hermon (2.8OO m), partie méridionale de l'Anti-Liban, est le sommet le plus élevé de cette chaîne montagneuse de 28 km. Il était appelé Sanir par les Amorrhéens (Dt 3,6). Le spectateur qui, de l'Hermon, contemple la Palestine, a sous les yeux la vallée du Jourdain, les lacs de Houlé et de Tibériade, la Galilée et la Samarie jusqu'au Carmel. Ez 27:5 évoque ses forêts, qui fournissent du bois de charpente aux vaisseaux syriens. Les armées d'invasion traversaient les pays que dominent ces sommets pour pénétrer ainsi en Palestine. Ces hautes montagnes, repaires des lions, des tigres et des léopards, étaient des lieux sauvages et dangereux, propices à la chasse au fauve. La jeune fille, dans sa beauté sauvage, ressemble à une Diane fière et indomptée qui est invitée à quitter ces contrées inhabitées pour vivre dans les palais. La mention des tanières des lions rappelle Nahum 2:12 qui, annonçant la destruction de la ville de Ninive, dépeint la capitale comme un repaire où les lions sortaient pour chercher leur proie et où ils accumulaient leurs dépouilles. Ces sommets sont tout désignés pour figurer les périls que font courir aux deux jeunes les ennemis de leur amour**. Le chéri invite sa fiancée à fuir les dangers des lions et des léopards qui pourraient menacer leur amour.
Le mot "kalah" "fiancée" pour désigner la jeune fille, apparaît ici pour la première fois. On le répète aux vv 9.10.11.12 et 5:1 et on ne le retrouve plus. C'est une dénomination qui s'applique à une fille dont le fiancé n'a pas encore pris possession et qui continue de demeurer chez son père. La cérémonie des noces n'a donc pas encore été célébrée, mais le contrat a été conclu***.
*hapax comme nom de montagne
**cf les "petits renards" de 2,15
***Dt 20,7; 22,23.
v 9
"Tu m'as ensorcelé, ô ma soeur, ma chérie,
Tu m'as ensorcelé par un seul de tes regards,
par un seul des diamants suspendus à ton cou".
"Ma soeur" est un terme de tendresse pour désigner la jeune fille (Tb 7:15). Le redoublement de l'appellation "ma soeur"-"ma fiancée" exprime un excès de tendresse. Le pouvoir ensorceleur du regard de la jeune fille rend fous tous ceux qui l'admirent. De surcroît, par la puissance magique de ses bijoux, parure ou perle, elle a totalement captivé le coeur du bien-aimé.
v 10
Qu'elles sont douces, tes caresses, ma soeur chérie
Qu'elles sont délicieuses tes caresses, plus que du vin.
Et la senteur de tes parfums (est plus forte) que tous les baumes odorants".
Il est bel et bon mon mari, chantait-on à la Renaissance ("kalos kagathos"). Le verset exprime l'impression produite sur le jeune homme par la beauté de la bien-aimée et il reprend pour cela des formules employées par la fille en 1:2-4, pour décrire la beauté du garçon lui-même. L'auteur souligne ainsi la réciprocité de l'admiration et de l'amour qui les unissent.
Le chéri ne sait comment traduire la séduction qui le ravit. La comparaison avec le vin et les aromates fait de la tendresse de sa chérie une beauté savourée et prisée.
Arbres assez rares en Palestine, les baumiers produisent une résine spéciale et précieuse, le baume, qui est utilisé pour la sépulture (2 Ch 16,14), mais qui a aussi un usage liturgique; il entre dans la composition des parfums sacrés (Ex 25,6; 35,28), des produits de beauté, de luxe (2 R 20:13) et de toilette (Est 2,12)*. *alors qu'aromates désignent toute substance végétale odoriférante.
v 11
Ma chérie, tes lèvres distillent le miel du nectar
Du miel et du lait sont sous ta langue.
Le parfum de tes vêtements est comme un parfum du Liban.
On trouve un parallèle presque parfait dans Prov 5,3, qui compare au miel la douceur des baisers ou des paroles de la femme adultère: "Les lèvres de l'étrangère distillent le miel et sa bouche est plus douce que l'huile". Le miel désigne le miel d'abeilles, extrêmement abondant en Palestine. En Prov 16,24, il symbolise la douceur des paroles d'un homme sage. Dans Cant 5,1, il évoque les charmes de l'amour et la suavité de la parole.
Ici, dans l'atmosphère pastorale qui était celle des anciennes histoires d'amour, la mention du lait est naturelle. Les charmes du commerce avec la fille sont décrits par comparaison avec les aliments les plus doux et les parfums les plus délicieux.
Homère disait, dans l'Iliade, de l'éloquence de Théophraste qu'elle était plus douce que le lait et des discours de Nestor qu'ils étaient semblables au miel.
Dans Ex 3:8.17; 13:5; 33:3 etc, Nb 13:27, les mots ne signifient pas "lait et miel"*, mais "lait avec miel", c'est-à-dire le lait rendu encore plus doux à l'aide du miel. Le lait mêlé à du miel, c'est le comble de la douceur; c'est la nourriture pastorale de base des nomades; c'est l'hydromel de grâce pour le roi d'un pays divin.
Tels sont les discours ou/et les baisers de la fille. Ses lèvres distillent paroles et baisers veloutés. Le but de la fiancée n'est pas de faire des discours doucereux, mais de vivre le corps-à-corps le plus voluptueux avec son ami. Ses mots sont des paroles éveillant tous les sens aux sensations du plaisir.
Pour les vêtements, on ne parle que du parfum. Divers parfums imprègnent les habits du fiancé royal (myrrhe et aloès). Le Ps 45:9 parle lui aussi du parfum des vêtements d'un fiancé, "le plus beau des fils d'homme"; ce peut désigner la chaleur conviviale qui émane de sa personne. Ici, le parfum des vêtements de la fille, vêtement qui est le manteau dans lequel on peut s'enrouler pour dormir ou sur lequel on peut s'étendre pour se reposer, est comparé à l'odeur pénétrante des arbres résineux et des plantes aromatiques qui y abondent.
Os 14:7 parlait déjà de la prospérité qui suivra le rétablissement de la nation, et se sert pour cela d'images empruntées à la végétation palestinienne: "Israël fleurira comme le lys, poussera ses racines comme le Liban, sa gloire sera comme celle de l'olivier, et son parfum comme celui du Liban", "Liban" signifiant ici non la montagne, mais la végétation du pays.
*qui sont en association fréquente pour désigner un pays plantureux (Ex 3,8.17), riche des biens messianiques et d'implications paradisiaques. L'olivier et le froment/blé sont les produits de base de l'alimentation des sédentaires.
v 12
Ma soeur chérie, tu es un jardin verrouillé, une source close, une fontaine
scellée!
La mention du jardin est fréquente dans le Cantique. Elle est toujours employée en parlant de la jeune fille, identifiée ou non avec la Palestine. Ce jardin est un lieu clos, entouré au moins de pierres sèches; sa mention implique l'image luxuriante d'un pays cultivé, mais aussi celle du jardin particulier du roi. Il est décrit en termes féeriques, planté d'essences exotiques, embaumé par les meilleurs parfums, destiné à illustrer les charmes de la fille. La source d'eau vive irriguant le jardin est l'élément le plus central et le plus intime de cette oasis. Ordinairement, les sources sont à ciel ouvert: mais il y a toujours eu aussi des sources protégées par une porte interdisant l'accès à l'eau, pour la préserver de toute action malveillante et en réserver le débit. L'eau qui étanche la soif est l'image du désir assouvi. Osée avait identifié l'Israël du retour à un jardin verdoyant (14:6-7). Ez 36:35 parle dans la même perspective: "L'on dira: cette terre, naguère dévastée, est devenue comme un jardin d'Eden".
La porte du jardin est fermée au verrou, de l'intérieur*. La clôture en effet est une affirmation du droit de propriété et en même temps une protection contre les indésirables. La clé est un loquet qui soulève la barre de bois placée à l'intérieur en guise de verrou. Pour y avoir accès, la clôture est violée; la présence de l'aimée peut calmer la soif ardente de l'amoureux; mais la fermeture souligne le caractère privé de cette oasis.
Le verbe "sceller" s'emploie à propos d'un document qu'on veut authentifier, mais aussi d'une chose fermée qui ne peut déployer son activité ou dont l'accès est interdit**. On chante la chasteté de la fille, eau jalousement soustraite aux usages érotiques gratuits; la source privée n'appartient qu'à lui. Il n'a pas encore accès à son corps. Ma petite est comme l'eau, elle est comme l'eau vive.... Eau et jardin désignent celle qu'on aime. Prov 5:15-18 compare la jeune fille à une eau dont jouit seul l'amoureux: "Bois l'eau de ta propre citerne, l'eau jaillissante de ton puits. Que tes fontaines ne s'écoulent point au dehors; qu'elles restent pour toi seul"***
*Jg 3,23-24;2 S 13,17-18
**Lv 15,3; Dt 32,34.
***le puits évoque le sème de la profondeur; la source, celui du jaillissement.
v 13
Tu as la fraîcheur d'un verger de paradis planté de grenadiers aux fruits
exquis.
Le terme de "paradis"* occupait une place importante dans la conception des résidences royales en Perse: il signifiait un lieu planté d'arbres fruitiers et d'agrément, bien irrigué et muni d'une clôture; lieu de délices considéré comme inhabituel et réservé à des privilégiés.
Le grenadier caractérise dans la Bible la végétation palestinienne et elle est un bon signe de fertilité**.
Les surgeons sont l'image de la poitrine naissante (mais peut-être aussi de la "fraîcheur").
*Le mot "pardes, paradis* est un emprunt
iranien, du zend "pairidaeza", désignant une enceinte circulaire, un lieu clos.
Il a passé dans le grec "paradeisos". Il se trouve en Ne 2,8; Qoh 2,5; Sir
24,30 (grec)
**Nb 13,23; Dt 8,8; Ag 2,19.
v 14
S'y croisent les parfums des cyprès et du nard, du nard et du safran,
de la cannelle et de la cinnamome, avec toutes les espèces de bois odorants.
C'est la liste des produits précieux et des essences aromatiques* annoncés au verset 13: le mot hapax "karkos" a donné le grec "krokos", le latin "crocus sativus", que les Arabes nomment "zafaran", d'où notre "safran", parfum provenant d'un arbuste d'origine indienne. La poudre odorante stimulante jaune tirée des stigmates de la fleur (du "crocus sativus") est utilisée comme parfum.
Le roseau odorant appelé "cannelle", de "qaneh", est un laurier originaire des Indes (Jr 6,20), le "acorus calamus" ou "acore"; il est mentionné en Ex 30,23 comme un des éléments du parfum sacré et considéré comme une essence de grand prix (Es 43,24). Ce roseau/jonc odorant croissait en Arabie et en Inde.
Le cinnamome (cité lui aussi dans Ex 30,23) est un parfum extrait de la cannelle**. Plante du genre des lauracées auquel appartient le cannelier, il est importé de l'Inde par la Perse, la Babylonie ou l'Egypte. Son essence entrait dans la composition de l'huile d'onction sainte***.
L'encens provient des différentes espèces du Boswellia. Ces arbres ne poussent pas en Palestine: l'encens est importé d'Arabie (Jr 6,20) et surtout d'Afrique****.
La myrrhe est aussi un produit d'importation. Elle entrait comme le roseau aromatique et le cinnamome dans la composition de l'huile d'onction (Ex 30,23).
L'aloès n'est pas l'aloès médicinal (Nb 24,6), dont la résine est amère et purgative, mais l'aloès aromatique d'Extrême-Orient, un bois aromatique connu des auteurs arabes et qui provient de l'Asie du Sud-Est. Il a un tronc élancé et ses feuilles sont toutes ramassées au sommet du tronc. Ce bois d'agallochos, importé d'Inde, semblable au bois de thuya, est amer au goût et exhale une bonne odeur. On en obtient un parfum estimé, recherché, rare et coûteux et on le brûle comme l'encens.
Myrrhe et aloès vont de pair. Dans le livre des Proverbes (Pr 7:17), l'enjôleuse a aspergé sa couche de "myrrhe, d'aloès et de cinnamome".
On accumule les aromates les plus précieux et les plus rares pour mieux mettre en relief la beauté unique de la fille. Ces espèces sont premières, non pas par leur précocité ("toutes les premières qualités"), mais par leur qualité et donc leur prix: ce sont des produits de luxe. A part le "grenadier" et le "henné", toutes les plantes qui suivent sont d'origine extra-palestinienne et proviennent de pays lointains.
Le Cantique qui les cite n'est donc pas un chant populaire ordinaire, car les produits mentionnés et les termes utilisés sont trop rares pour cela; ils concernent le luxe de l'amour voluptueux. Ces plantes considérées comme paradisiaques peuvent être des parfums réels dont use la fille pour être plus attirante ou alors ils sont les effluves de sa féminité excitante.
*trois parfums identiques sont énumérées dans Prov
7,17 et ici
**cannelle: Ex 30,23; Es 43,24; Jr 6,20
***cf Ex 30,23. Dans la "Vita Adae" (43), on fait allusion à ces parfums dans
le même ordre que dans la description du jardin de la fiancée, ici, en Ct 4,14.
****la LXX a traduit par "libanon".
v 15
Fontaine des jardins, puits des eaux vives, ruisseaux qui dévalent du Liban !
Ici on précise que ce n'est pas de l'eau ordinaire, mais de l'eau de première qualité, celle des eaux vives des rivières et non l'eau stagnante des citernes. Les eaux vives sont celles qui sont ruisselantes et donc fraîches*; elles créent les jardins et les fertilisent. On trouve la même évocation d'une source fraîche et jamais tarie en Jr 18:14: le Liban enneigé est un pays jaillissant de fontaines bondissantes et de sources vives.
Le jardin représente le corps de la bien-aimée. La fontaine des jardins est un puits d'eaux courantes. La fille est une source secrète et ruisselante pour le jeune garçon; le puits, de même, désigne celle qu'on aime (Prov 5,15). La fiancée invite son chéri à venir se désaltérer (Prov 5,15s) à une fontaine si bienfaisante pour y étancher définitivement sa soif d'amour.
*Lv 14,5-6; 50-52;
15,13; Nb 19,17; Za 14,8
**le verbe "nzl" ("couler") s'applique aux larmes (Jr 9,17), à la
pluie (Jb 36,28), à l'eau (Nb 27,4), aux montagnes (Jg 5,5), aux courants d'eaux (Ex
15,8), à la justice (Es 45,8).
v 16 = dit par la fille
Réveille-toi, rafale du Nord. Viens brise du Sud
Soufflez sur mon jardin et que ses aromates ruissellent !
Que mon amour entre dans son jardin et qu'il en goûte les fruits exquis.
Le vent d'aquilon, ou du nord*, dont il s'agit ici, et ici seulement, et celui du midi, sont contraires et ne peuvent souffler en même temps. Le nord est le côté classique d'où viennent les invasions. Le vent est interpellé ici comme une personne par le verbe: "éveille-toi" qui s'applique à des choses inanimées qui vont entrer en mouvement; le vent se lève. Ces vents, en soufflant tour à tour et successivement sur le jardin, vont propager les parfums et les amener aux narines des hommes. Si aucun noroît ni suroît ne soufflent, pas un parfum ne passe la clôture; en revanche, que le vent vienne secouer tous ces bouquets, c'est un déchaînement d'arômes, qui s'emmêlent en tourbillons rapides; des parfums capiteux d'orangeraies vont à des kilomètres parfumer la haute mer et les lointaines collines. L'action du vent a pour fin de réunir les deux amoureux dans et par un même espace odorant ("Ruah").
Le moment de la possession délicieuse est arrivé pour le chéri. Les fruits du jardin lui appartiennent. Le jardin, dans ces poèmes inspirés, n'est autre que la jeune fille en personne, qui est la propriété exclusive du jeune homme**. Jardin et fruits sont de fines métaphores poétiques pour dire l'invitation à jouir de sa bien-aimée. La fille s'offre au bien-aimé; celui-ci accepte avec empressement (5,1).
"Venir" est le verbe utilisé dans le Cantique pour la réunion des amoureux. Cela va plus loin, jusqu'au sens sexuel du terme***. Le commerce sexuel semble bien être ainsi suggéré derrière la formule "venir à son jardin", d'autant que le verbe "bo" veut aussi dire "entrer". Il s'agit pour le pâtre d'aller vers la fille, qui est ce jardin.
"Manger" ne se rencontre qu'ici et en Ct 51; "manger" ou "boire" se disent de la jouissance amoureuse****.
* "tsaphon": "sph": guetter
** le garçon dit de la fille, dans le Cantique, "mon jardin" "gannî"
(5,1); la fille dit à propos de son fiancé "son jardin" ("ganno"
4,16; 6,2)
*** Gn 16,2; 30,3; 38,2
****Prov 30,20; Sir 26,12.
v.5,1
"Je suis entré dans mon jardin, ma soeur chérie
J'ai fait la cueillette de ma myrrhe avec mes herbes parfumées,
J'ai mangé mon rayon avec mon miel
J'ai bu mon vin avec mon lait".
Les délices que trouve le garçon dans le jardin qui est la fiancée sont décrites sous la figure olfactive des parfums et l'image gustative des fruits. Les parfums récoltés par le fiancé et les mets précieux dont il se nourrit sont énumérés deux par deux; ce procédé fait comprendre la délectation redoublée que trouve l'amoureux dans le commerce de la bien-aimée qui est sa pleine propriété.
Les parfums ici ne sont pas de vrais parfums, mais ceux de la féminité. "Baume" renchérit sur "myrrhe" comme le comble du parfum précieux et du charme de la jeune fille. Se rappeler que les parfums sont sur les seins, appelés "monts emmyrrhés" et "colline encensée": tout cela appartient au garçon en même temps que le jardin, métaphore qui signifie les intimités de la fille et où il a libre accès. Il ne s'agit plus seulement de s'imprégner de bonnes odeurs, mais de se saturer de caresses.
Les aliments qui suivent ne sont pas de vrais aliments, mais des images pour exprimer la jouissance pulpeuse des baisers, des caresses et du ravissement. "Yahar" est le rayon de miel sauvage dont on n'a pas encore laissé s'écouler tout seul le nectar; "dewash" est le miel sans plus. Le vin (celui de l'amour ivre) et le lait (celui de la douce saveur) sont associés pour représenter ce qu'il y a de plus doux et de plus exquis (4:10-11). Le lait qui renchérit sur le vin, c'est l'image de l'abondance, unissant les produits de la culture et du nomadisme, procurant la joie et le bonheur suprêmes. L'abondance conduit à la fois au rassasiement (par le lait) et à la volupté suprême de l'ivresse (par le vin). Le bonheur du chéri se traduit en repas nuptial. La description de Ct 4:11 est maintenant développée: sous ta langue, je mange* et je bois du lait et du miel: il ne s'agit plus de discours. Savourer le mélange onctueux et translucide du lait et du miel, c'est naître et re-naître à la vie et à l'amour.
La tendresse de la fille équivaut pour le gars à toutes les richesses olfactives et à tous les trésors gustatifs de la création. Le poète invite les deux amoureux à s'enivrer des plaisirs sublimes de l'amour.
Le garçon se tourne vers des personnages appelés compagnons** et les engage à partager son bonheur, à boire et à s'enivrer. C'est la fête de l'amour.
Les amoureux sont heureux de s'être trouvés et d'être ensemble avec leurs amis. Qui parle à qui ? Elle à lui ? Lui à elle ? Les assistants ou le poète aux amoureux ? Dans son rêve, la fiancée entend le choeur généralement inamical lui parler avec cordialité.
* mangez = sens érotique; cf Prov 30,20; 9,17
**à ne pas confondre avec les bergers ni les frères qui accompagnent l'amoureux
Ce troisième chant est un rêve dans lequel la fille voit son amour couronné de succès, rêve dont elle va s'éveiller à Ct 5,2 lorsqu'enfin son amoureux arrive au rendez-vous fixé (2,17), puis ajourné (3,1) et qui, hélas, va être un rancard manqué.