Conclusion
Peuple nouveau pour un monde nouveau
Un peuple d'hommes heureux

La venue du Règne, message central de la prédication et de l'action de Jésus, avait été présentée par Esaïe 61 comme une bonne nouvelle pour les anawim de tous les temps. Jésus avait fait sien cet oracle (Lc 4:16-21): l'Esprit du Seigneur est sur moi.(..)pour annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres", ce qui revient à dire: "Heureux les pauvres, parce que le Royaume de Dieu est à eux " (Lc 6:20) et heureux sont-ils d'avoir un tel Dieu pour Roi !

Puisque nous parlons de royaume et de roi, mentionnons la manièred dont Dieu entend exercer ses prérogatives royales, dans le contexte du Moyen-Orient ancien. Les orientaux en effet se soucient plus des droits des sans-droits que des droits de l'homme. Or le droit des sans-droits est précisément proclamé et mis en œuvre par le roi, dont le rôle politique et religieux est de défendre le faible contre le fort, d'assurer le bon droit du laissé-pour-compte, de la veuve, de l'orphelin, de l'immigré. Et le règne idéal est celui où le faible n'a plus rien à craindre du fort, où le pauvre n'a plus rien à envier au riche, où l'orphelin et l'étranger sont juridiquement protégés, où la justice et la liberté sont garanties à tous, par le roi, représentant sur terre du Dieu d'Abraham, Dieu vivant, Dieu des vivants.

C'est bien ce règne que Dieu a annoncé en Jésus et que Jésus a manifesté par ses actes autant que par ses par(ab)oles. C'est pourquoi, dans le royaume de Dieu, les "bien-heureux" sont ceux que le roi préfère. Et les "béatitudes" dont les vertus évangéliques de tous les disciples à qui Jésus a dit, avec insistance: "Marchez à ma suite, corrigez la vision des choses, changez de vie. Je vous promets le centuple tout de suite et la vie en surabondance".

Le bonheur appartient donc à ceux qui sont profondément pauvres: Luc béatifie les pauvres qui souffrent d'indigence matérielle; Mat béatifie ceux qui ne comptent que sur Dieu pour réussir leur vie et qui savent que les biens du corps, du cœur et de l'esprit ne pourront jamais les satisfaire ni les accomplir. Des êtres disponibles, libérés et ouverts, qui ne s'épuisent pas à chercher la première place ni à vouloir à tout prix servir en même temps deux maîtres.

Le bonheur appartient à ceux qui sont non-violents : ceux qui ont jugulé la violence des idées, des mots et des comportements; ceux qui vivent sans agressivité et sans esprit de revanche, qui ont débusqué leurs besoins de séduire, leur désir de dominer, leur volonté de puissance; ceux qui refusent de croire que la compétition des castes et la lutte des classes sont les seules explications de l'avancée de l'histoire; ceux qui ont expérimenté la nocivité des arguments frappants, des guerres "justes" et des rivalités idéologiques; ceux qui ont fait l'expérience de l'efficacité de la tolérance; ceux qui acceptent, pour les autres, le droit à l'erreur, à la différence et à la lente maturation de leur vocation. La terre leur appartient.

Le bonheur appartient à ceux qui ont le cœur vulnérable et qui sont éprouvés, à ceux qui ne passent pas leur temps à fuir en avant d'eux-mêmes, à éviter l'intiative, la prise de responsabilité, la critique ou le reproche; à ceux qui acceptent d'être mis en question, utilisés pour devoir ensuite céder la place et donner à d'autres leurs chances de réussir; à ceux qui croient que l'imperfection, l'échec et la détresse peuvent être des moyens de progresser; à ceux qui crient devant les innocents qu'on abat, devant la souffrance, l'injustice et la mort.

Le bonheur est à ceux qui sont affamés de justice: heureux en effet ceux qui ne sont jamais satisfaits d'eux-mêmes, de leurs certitudes et/ou de leurs chimères; ceux qui ne se résignent pas devant la fatalité des événements; ceux qui ne se complaisent pas dans leur médiocrité sous prétexte qu'ils seront désarmés face aux structures, aux aliénations et aux compromissions de leur environnement. Heureux ceux qui veulent inventer avec d'autres des relations humaines "justes", en partenaires qui se reconnaissent mutuellement; ceux qui refusent de se laisser piéger par les stéréotypes collectifs du racisme, de l'antisémitisme; ceux qui sont en état de gratitude envers toute personne rencontrée.

Le bonheur appartient à ceux qui pratiquent la miséricorde; à ceux qui savent être indulgents à l'égard des faibles, des paumés, de ceux qui ne réussissent jamais; à ceux qui veulent qu'autour d'eux naissent des espaces de bienveillance et de convivialité; à ceux qui, ayant expérimenté leurs propres limites, refusent de moraliser sans arrêt, de camper sur les sommets et de se caparaçonner dans leur vertu et leur infatuation; à ceux qui excusent et marchent un bout du chemin ensemble avec les marginaux, les déviants et les mis-à-l'écart; à ceux qui, par l'aveu de leurs propres erreurs, refusent de faire retomber sur d'autres la responsabilité de leurs propres échecs.

Le bonheur est à ceux qui ont le cœur transparent et qui voient clair en eux: le pur et l'impur, en Israël, ont leur origine dans le monde ténébreux des interdits qui découlent des croyances démoniaques opposées à la sainteté de Dieu. Ils furent à l'origine des pratiques rituelles d'ablutions, de sacrifices, pour supprimer toute impureté. Les prophètes dénoncèrent à l'envi le danger de moralisme hypocrite qui en découlait (Jr 33:8). Le cœur étant le lieu de la décision intérieure et de la personnalité, seul le clair de cœur n'est pas double, ballotté, dispersé, mais unifié, anticonformiste, non aligné. Heureux celui qui sait créer autour de lui des milieux de vie transparents, lumineux, pleins d'espérance.

Le bonheur est à ceux qui édifient la paix (Jc 3:18): il ne s'agit pas de la paix intérieure des sages, des hommes sereins devant la tempête ou de la paix des grands cimetières sous la lune, mais de "l'œuvre de paix" dont Dieu, le Dieu de la Paix (Rm 15:33) est l'inspirateur: paix de réconciliation (Col 1:20), concorde entre frères d'une même Eglise (Mt 18:15); paix de ceux au contact desquels chacun découvre son vrai nom, prend confiance en lui-même, trouve l'équilibre et l'harmonie des choses, des êtres , du temps.

Moyennant quoi, celui qui fait la paix fait naître autour de lui un monde nouveau, inédit, habité par l'Esprit qui le transforme de l'intérieur et qui lui donne à la fois sa cohésion et sa diversité. Celui qui fait la paix ouvre partout où il passe des espaces créateurs d'avenir et peut alors dire en vérité la prière qu'il a apprise du Seigneur lui-même: "Père céleste, fais-toi reconnaître comme Dieu, fais venir ton Règne".

Conclusion: ceux qui voudront marcher à la suite de Jésus pour promouvoir ce monde nouveau seront inévitablement "persécutés" et traqués, car ils vivront à contre-sens du projet de bonheur défini par les hommes.

Mais en même temps, ils seront pleinement heureux, car ils auront mis au monde un nouveau peuple de Dieu, un nouveau peuple d'hommes auquel appartient, dès maintenant, le Royaume de Dieu qui vient et qui est l'avenir absolu de l'humanité.

_______________________________________Metz st symphorien Epiphanie 2001 cpc


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