image_lettre

N°52
Novembre 2012


PARDONNER, c’est RENDRE LIBRE  (Mt 18 : 23-35)  camille paul cartucci, bibliste, Metz

 Matthieu met par écrit, vers les années 85, la grande Nouvelle du Règne qui vient et l’adresse à la communauté naissante des judéo-chrétiens de Palestine. On sait que cette communauté a perdu l’enthousiasme des débuts (cf la bon grain qui rapporte, en ordre croissant, 30, 60 et 100 pour un chez Marc, alors que Matthieu la décrit en ordre décroissant: 100, 60, 30). On sait également que c’est une communauté où l’on est plus porté à discuter qu’à mettre la Parole en pratique et où l’on se dispute souvent, sans vouloir reconnaître ses torts.

Dans les 8(ou 9) paraboles qui sont propres à Matthieu (perle, filet, les 10 jeunes filles, l’ivraie, le trésor caché, les ouvriers de la 11ème heure, les deux fils), celle du « débiteur impitoyable » en Mt 18 :23-35 nous intéresse aujourd’hui. Dans ce récit sont en présence un roi, grand seigneur, qui ignore le montant de sa fortune et qui veut régler ses comptes avec ses serviteurs, et un petit bourgeois roturier, pusillanime et rude, pour qui un sou est un sou.

Le serviteur, personnage central, se trouve devant deux cas de figure :

1° débiteur à l’endroit du roi d’une somme considérable, disproportionnée par rapport à ses ressources financières, il est insolvable. Devant la menace du maître de le vendre,  corps et biens, et d’éteindre ainsi sa dette, le roturier réclame un délai de grâce, une suspension de l’urgence. Le maître, compatissant, lui accorde, maganime, la liberté par la remise de la dette.

2° créancier d’une somme dérisoire de cent deniers devant un de ses compagnons, sans pitié, il choisit la soluton agressive de la violence. Son compagnon, pris à la gorge, est privé du délai de grâce que lui-même a obtenu, et de la liberté quil ui donnerait le temps de rembourser.

3° en suite de quoi, le roi, pris de colère, exige que son débiteur intraitable soit livré immédiatement à la force brutale jusqu’au remboursement d’une dette qu’il doit, de toute façon assumer, sans pouvoir la payer jamais.

En fin de compte, le roturier, humainement impitoyable, est financièrement insolvable et spirituellement impardonnable. En refusant le règlement à l’amiable de la dette, ce gagne-petit besogneux provoque, en le marginalisant, l’élimination sociale du débiteur et l’enferme dans une voie sans issue.

Le projet libérateur de Dieu

Mais ce n’est pas là le comportement du Dieu de la Bible. Le Père céleste est un Dieu de libéralité infinie (personne devant lui n’est insolvable). Il est riche en miséricorde (personne devant lui ne doit être impitoyable). Il est large en pardon (personne devant lui n’est impardonnable). Et il donne à tous, sans mesure, la capacité de neutraliser, par le pardon,  l’action aliénante du passé, de l’argent ou de la vengeance. La loi de vie du Royaume des Cieux est donc totalement aux antipodes des calculs humains habituels. « De la mesure dont vous aurez mesuré, on mesurera pour vous » (Mt 7 :2). Ainsi Dieu en remettant la dette qui est pour les juifs une « morsure », rétablit des relations innovatrices avec les humains et recrée des liens apaisés entre les hommes eux-mêmes. La lutte sans merci contre l’injustice et l’intolérance fait vivre le juste en cohérence avec le projet libérateur de Dieu et démontre que l’humanité ne peut grandir en humanité que dans la mesure où elle tient sa croissance, sans rancune et sans vengeance, de la miséricorde de Dieu. Ce Dieu qui ouvre l’avenir de chacun 70 fois 7 fois par jour.

conclusion : s’il est vrai qu’il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui voulait régler ses comptes, c’est aux disciples qu’il revient de choisir la manière dont ils veulent que le Père céleste les traite : « Remets les dettes comme nous les remettons à nos débiteurs » (comparaison), lit-on en Mt 6 :12. Et cette manière dépend de leur attitude envers leurs semblables : « Remets nos péchés parce que nous remettons à qui nous doit (raison), lit-on en Lc 11 :4.

« Quiconque pratique ainsi la justice est né de Dieu » (1 Jn 2 :29), peut-on conclure avec  saint Jean.
RETOUR