N°22
Avril 2001

 


 

ELIE, une comète dans le ciel prophétique. ...............camille paul cartucci

Nous sommes dans la 1ère moitié du 9ème s. avant JC. Avec ELIE et son disciple ELISEE, nous entrons dans une période nouvelle, celle des prophètes qui vont fortement modeler la conscience sociale, politique et religieuse d'Israël. Après les voyants que furent Samuel, Nathan, Ahhiyya de Silo, Elie est la première grande figure de prophète. Porte-parole de Dieu, le prophète est l'homme qui parle au nom de Jahwé pour faire avancer le peuple et ses responsables dans la fidélité au projet de Dieu sur ce monde et sur Israël. Le texte biblique nous apprend qu'Elie est originaire de Tisbeh en Transjordanie. Il raconte ses démêlés avec le roi Achab et Jézabel, puis avec Ochozias, mais ne laisse rien transparaître de sa vie personnelle et ne parle de lui qu'à propos de sa mission: poussé par l'Esprit de Dieu, on le trouve au torrent de Kérith, en Transjordanie, au Carmel, en Phénicie, à l'Horeb, en Syrie, au palais d'Achab et finalement au Jourdain, où il est enlevé sur un char de feu. Ce prophète, vêtu d'une pelisse et d'une ceinture de peau autour des reins, apparaît comme un homme entouré de mystère, aussi bien dans ses origines (famille inconnue) que dans sa surprenante disparition.

Son attitude à l'égard des grands de ce monde est traversée de contrastes. Tantôt il tremble devant la colère des puissants, tantôt il s'oppose à eux sur le terrain même de leurs forfaits (récit de la vigne de Naboth). Dans l'accomplissement de sa mission, il passe de l'audace la plus forte à l'abattement le plus total. Tout cela fait de lui un personnage hors du commun au coeur d'une existence très mouvementée.

Par ailleurs, il est par d'autres traits l'homme des solitudes, où il apparaît comme une sorte d'ermite surgi du désert: solitude au torrent du Kérith, où il est ravitaillé par des corbeaux, solitude dans sa retraite du Carmel, solitude à l'Horeb où il rencontre le Seigneur dans le silence intime. Rarement présent dans les villes ou les cités, il habite le silence des déserts et des montagnes.

Prophète dérangeant, Elie est un homme seul, traqué et rejeté. Marginalisé. Sous cet aspect, il se qualifie lui-même de serviteur du Seigneur dont il est l'impétueux porte-parole: défenseur de la foi en Jahwé unique en même temps qu'il l'est du droit de la veuve et de l'orphelin, il proteste à la fois contre l'injustice et contre l'idolâtrie, les deux aspects du rejet de Dieu. Et il n'hésite pas à aller du nord au sud (de Sarepta à l'Horeb) et de l'ouest à l'est (du Carmel à la Transjordanie) pour crier partout la justice de Dieu et le droit des laissés pour compte de la société de son temps.

Avant de partir, il transmet sa vocation à Elisée et ce récit d'Elie a joué comme un texte qui a focalisé toute la tradition. On y distingue les ciconstances de l'événement (il partit, il trouva), la rencontre (il passa près de lui); la situation sociale (il labourait); l'appel (il jeta sur lui son manteau) et les réticences; l'abandon des moyens humains de subsistance (il immola); l'adhésion au maître (il se leva et le suivait).

Finalement, Elie fut l'homme des paradoxes. Comme Moïse son modèle, il fut le prophète par excellence selon Deutéronome 34:10:

Elie le prophète a eu une mission et un message à proclamer. Il a peu parlé. Mais toute son existence était une parole. La Parole de Dieu poursuit sa course et la foi est cette possibilité donnée à chacun de naître à la Parole dès lors qu'il entend ce qui lui vient d'ailleurs. Elle s'engage dans le plus humain de notre humanité et nous n'avons pas d'autre preuve de Dieu que ces prophètes qu'une Parole met en mouvement. Dieu ne saurait être parmi nous sans nos paroles de témoins. Par elles, Il devient événement dans l'histoire et événement dans l'espace. Par elles, le prophète devient parole en actes. La parole donne à naître et à faire naître un autre monde.

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La RUCHE MURMURANTE (The fable of the bees - 1728)…….B. de MANDEVILLE

"Il était une fois une ruche qui ressemblait à une société humaine bien réglée. Il n'y manquait ni les fripons ni les chevaliers d'industrie ni les mauvais médecins ni les mauvais prêtres ni les mauvais soldats ni les mauvais ministres; elle avait une mauvaise reine. Tous les jours, des fraudes se commettaient dans cette ruche; et la justice, appelée à réprimer la corruption, était corruptible. Bref, chaque profession, chaque ordre étaient remplis de vices, mais la nation n'en était pas moins prospère et forte. En effet, les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique; et, en retour, les plus scélérats de la tribu travaillaient de bon cœur au bien commun.

Or un changement se produisit dans l'esprit des abeilles qui eurent l'idée singulière de ne vouloir plus qu'honnêteté et que vertu. Elles demandèrent une réforme radicale; et c'étaient les plus oisives, les plus friponnes qui criaient le plus haut. Jupiter jura que cette troupe criailleuse serait délivrée des vices dont elle se plaignait. Il dit et, au même instant, l'amour exclusif du bien s'empara des cœurs.

D'où bien vite, la ruine de toute la ruche: plus d'excès, plus de maladies; on n'eut plus besoin de médecins. Plus de disputes, plus de procès; on n'eut plus besoin d'avocats ni de juges. Les abeilles, devenues économes et tempérantes, ne dépensèrent plus rien. Plus de luxe, plus d'art, plus de commerce. La désolation fut générale.

Des voisines crurent le moment venu d'attaquer: il y eut bataille. La ruche se défendit et triompha des envahisseuses, mais elle paya cher son triomphe. Des milliers de valeureuses abeilles périrent au combat. Le reste de l'essaim, pour éviter de retomber dans le vice, s'envola dignement dans le creux d'un arbre. Il ne resta plus aux abeilles que la vertu et le malheur.

Mortels insensés…Cessez de vous plaindre ! Vous cherchez en vain à associer la grandeur d'une nation avec la probité. Il n'y a que des fous qui puissent se flatter de jouir des agréments de la terre, de vivre bien à leur aise et d'être en même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits…!"

B. de Mandeville était un hollandais devenu anglais. Cette parabole cynique préfigure les doctrines du libéralisme économique et de l'utilitarisme. Chaque homme a le droit et le devoir de poursuivre son intérêt propre et c'est ainsi qu'il contribuera au bien de tous, les "vices privés devenant des "bienfaits publics". Mandeville avait la dent dure; il vécut vieux. Sa fable vécut plus longtemps que lui. La preuve, on la discute encore aujourd'hui. Dommage que ce genre de vertu condamne des millions de gens honnêtes et dignes à vivre dans le dénuement et le rejet, au mépris de toute justice.

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Il était une fois un père atteint de syphilis, une mère atteinte de tuberculose. Ils eurent quatre enfants: le premier était aveugle, le second mort-né, le troisième sourd-muet et le quatrième tuberculeux. Fallait-il interrompre la cinquième grossesse ? - Evidemment, auraient répondu aujourd'hui les gens évolués. A l'époque, ce n'était pas possible et encore moins pensable. L'enfant naquit donc et devint sourd, à son tour, dès l'âge de 32 ans. Il s'appelait Ludwig van Beethoven.

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Il était une fois un ouvrier qui travailla toute sa vie pour élever dignement ses enfants. Il gagnait à peine le Smic, au prix d'un travail usant et ingrat. Pour se détendre un peu, il regardait parfois la télévision et tomba un jour sur l'émission reposante de TF1 "Qui veut gagner des millions ?" Ses copains de chantier lui en avait parlé. Au lieu de s'esquinter à bosser pour gagner quelques misères, il y avait là un truc tout trouvé pour sortir de la galère. On pouvait gagner des millions en répondant à quelques questions d'une facilité confinant à l'idiotie ! Le conte de fées ! Le bonheur intégral à la portée de tous ceux qui savent que Paris est la capitale de la France, que le mohair est une laine d'origine caprine et qu'un garde du corps est généralement appelé un "gorille". Ce jeu a fait le tour du monde. La facilité des questions et l'évidence des réponses transforment chaque téléspectateur en candidat virtuel: tu te rends compte: j'en serais déjà à 700.000 F ! Et sans avoir utilisé aucun joker…" La fortune à la portée de n'importe qui : devenir millionnaire en étant nul. Les candidats poussent de partout. Ils dépensent des fortunes (3,68 F la minute; 14 millions d'appels, 70.000 heures de connexions Minitel, 30.470.000 francs pour la chaîne). Il faut voir les airs que prend Foucault quand il demande au candidat qui vient de choisir entre deux sottises et une évidence: "C'est votre dernier mot ?" Les quelques secondes qui s'écoulent alors disent tout le mépris qui est à l'œuvre dans cet immense bazar médiatique qui est une insulte aux millions d'enfants et d'hommes qui meurent de faim ou de désespoir dans les favellas du tiers-monde ou dans les bidonvilles de nos civilisations d'avant-garde…

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