N°8 Novembre 1999

 


L’ANNEE JUBILAIRE * camille paul cartucci, metz

Toutes les sept semaines d’années, donc tous les 49 ans, devait s’ouvrir en Israël le sabbat des sabbats, la grande année dite " Année Sainte " ou " JUBILE ", entièrement consacrée à Dieu et à la réconciliation (Lv 23 :10). Cette année commençait le 10ème jour du 7ème mois (mois de tishri : septembre-octobre) ; c’était le jour des Expiations ou Yom Kippour.

Le JUBILE (ou année du " yobel ") tient son nom de l’hébreu lbwy, le Bélier, der Widder, le mâle de la brebis. Par métonymies successives, le " yobel ", nom du bélier, est devenu celui de la corne de l’animal, puis celui du son retentissant qu’on en tire et enfin celui de la solennité dont on donne le signal.

Dix jours après le Nouvel An (Rosh Hashanah, le ler tishri), la sonnerie du shofar (trompe en corne de bouquetin, Ziegenbock) devait inaugurer l’année sainte du jubilé et l’annoncer dans tout le pays (Lv 25 :9) : d’où l’idée de fête et de joie qui est attachée au " yobel " et qu’on retrouve dans le verbe " jubiler, jubeln " = " pousser des cris d’allégresse ".

Durant cette année, les terres devaient rester en jachère (ce qui implique que l’année jubilaire succédant à l’année sabbatique, c’était une seconde année sans semailles et sans récoltes. On comptait sur la providence divine pour y pourvoir). On pouvait manger le produit spontané des champs, mais en le recueillant au jour le jour, sans faire de réserves et sans l’entasser dans les greniers.

Définie comme un affranchissement des habitants du pays et des biens, chacun retrouvait son patrimoine initial, celui-là même qui avait été attribué aux familles après la conquête du pays par Josué. On récupérait ainsi les terrains et les maisons des villages et des villes qui, pour une raison ou pour une autre, avaient dû être aliénés depuis le dernier jubilé. L’année jubilaire empêchait ainsi, juridiquement, le démembrement des terres par les grands propriétaires entreprenants qui accumulaient les biens, les champs, les vignes, pour fonder de vastes domaines dont ils se disaient les maîtres absolus. Le Jubilé rappelait à tout israélite que Dieu seul était le maître et propriétaire du sol et que l’homme, quel que fût son esprit d’entreprise et son instinct d’appropriation, n’en était que le gérant.

En outre, durant cette année, tout esclave hébreu devait être libéré et rentrer dans sa famille. Souvent en effet, écrasé par les dettes, le paysan réduit à ne posséder en propre que ses bras et sa liberté, se vendait à un riche propriétaire en échange d’un salaire et d’un toit. L’année sabbatique ou jubilaire lui permettait de recouvrer, s’il le désirait, la liberté. Il pouvait ainsi recommencer une nouvelle vie.

Que ces lois aient fonctionné ou non importe, somme toute, assez peu. Leur projection dans l’avenir avait façonné la conscience collective du peuple israélite dans la conviction qu’un jour Dieu imposerait la réorganisation de toute société qui se structurait dans l’inégalité et dans l’injustice. La reconnaissance de Dieu comme Dieu et comme unique Seigneur de la terre et du ciel allait à contre-courant de la sacralisation des structures sociales qui se construisaient selon la loi des plus forts et qui se pérennisaient au nom des droits acquis. La loi du repos sabbatique de la terre, qui n’eut aucun équivalent chez les peuples voisins, n’a peut-être jamais été appliquée, mais elle a permis d’établir le lien qui existe entre l’abandon à Dieu et le caractère arbitraire des structurations sociales qui se construisent au hasard de la chance, de l’habileté ou de l’initiative. Une telle loi empêchait les mécanismes et les rapports sociaux de se figer et de se sacraliser au détriment des plus faibles, des exclus de la chance ou de la fortune. Elle leur permettait, du moins en rêve, et avec la caution divine, d’espérer qu’un jour ou l’autre, ils ne feraient plus partie du camp des exploités ou des laissés-pour-compte de l’existence.

HEUREUX SEREZ-VOUS…..!

Un disciple alla un jour trouver son maître et lui dit : " Maître, je veux trouver Dieu ". Le maître regarda le jeune homme sans rien dire et lui sourit. Le jeune homme revint chaque jour, répétant qu’il voulait la religion. Mais le maître savait mieux que lui à quoi s’en tenir. Un jour qu’il faisait très chaud, il demanda au jeune homme de l’accompagner jusqu’au fleuve pour nager. Le jeune homme plongea dans l’eau. Le maître le suivit et le maintint sous l’eau, de force. Lorsque le jeune homme se fut débattu un moment, le maître le lâcha et lui demanda de quoi il avait eu le plus envie quand il était sous l'eau. " De l’air ", répondit le disciple. " Désires-tu Dieu de la même manière ?  dit le maître. Si tu le désires ainsi, tu le trouveras instantanément. Si tu n’as pas ce désir et cette soif, tu auras beau lutter avec ton intelligence, tes lèvres et tes forces, tu ne pourras pas trouver la religion. Tant que cette soif n’est pas éveillée en toi, tu ne vaux pas mieux qu’un athée. Mais encore souvent l’athée est sincère et TOI, TU NE L’ES PAS". (conte oriental)

Depuis que Jésus a paru, le bonheur du Royaume appartient aux pauvres qui, par une longue expérience de la détresse économique et sociale, ont appris à ne plus compter que sur l’aide de Dieu. Il appartient à ceux qui, cassés par la vie, sont restés debout. Sans amertume et sans illusion. A ceux qui savent que le bonheur n’est un droit pour personne, mais un don venu d’ailleurs.

Le bonheur appartient aux doux, à ceux qui ont démasqué le vrai visage de la violence ; à ceux qui ne croient plus que la justice puisse s’imposer par la force ; à ceux qui ont renoncé au besoin de dominer, de briller ou de séduire ; à ceux qui ont découvert l’efficacité de la bienveillance.

Le bonheur appartient à ceux qui sont éprouvés, qui ont goûté l’âpreté des abandons et des trahisons ; à ceux qui sont blessés et qui ne passent pas leur temps à gémir ou à esquiver le malheur ; ce sont des êtres vulnérables et forts comme le roc.

Le bonheur appartient à ceux qui ne sont pas saturés de certitudes, qui ont mesuré leurs limites, mais qui refusent de se résigner.

Le bonheur appartient à ceux qui auront eu pitié des affligés par l’entraide fraternelle ; à ceux qui sont solidaires, qui ne se retirent pas sur la montagne pour commenter et se répandre en conseils ou en consolations, mais qui entrent dans la mêlée ; à ceux qui vivent autant d’erreurs que de réussites ; des êtres de chair, sur lesquels on peut compter.

Le bonheur appartient à ceux qui voient clair en eux, à ceux qui servent Dieu et les hommes avec un cœur unifié ; à ceux qui ne virevoltent pas au gré des modes et des vents ; des êtres responsables, stables, simples et vrais.

Le bonheur appartient à ceux qui créent la paix et la concorde, tant au plan des relations personnelles que sociales ; à ceux qui permettent qu’à leur contact, chacun découvre son vrai nom, prenne confiance en lui-même, trouve la paix intérieure.

Libres, doux, solides, solidaires, unifiés, pacifiants, tels sont les hommes et les femmes auxquels le bonheur est promis et par lesquels il est possible. On les rejette, on les enferme, on les ridiculise. Ils sont pourtant heureux, ces saints inconnus de tous les jours. Ils savent que le meilleur moyen de garder le bonheur, c’est de le partager.

Oui, bienheureux les disciples de Jésus qui travaillent à construire le bonheur de leurs frères dans la cité qui chaque jour se bâtit sous nos yeux.

"Assurer l’indispensable – Inventer l’impossible " : telle est notre devise pastorale.


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