N° 2 Février 1999


 

 


Je vous donnerai des pasteurs…….camille paul cartucci, metz.

C'est tout le peuple de Dieu, né de l'Esprit, de l'eau et de l'Alliance nouvelle qui est sacerdotal, prophétique et royal, prolongeant ainsi, de manière radicalement nouvelle, le statut théologique du peuple de la première Alliance.

Ce peuple nouveau, que Dieu appelle l'Eglise, fait quotidiennement l'expérience de sa réalité fondamentale qui est celle de la communion des fils adoptifs du Père, des frères de Jésus et des témoins de l'Esprit. Si ce peuple ecclésial chemine dans le mode auquel il est envoyé et dispose, pour son existence, de la Parole et de l'Eucharistie, sa croissance est assurée par la mise en œuvre simultanée de trois formes de témoignages:

- celui de la /leitourgia/louange collective/ qui fait de lui une communauté d'action de grâces célébrant, dans l'Eucharistie, les merveilles que Dieu a faites pour lui depuis les origines,

- celui de la /marturia/témoignage/ qui fait de lui une communauté prophétique proclamant à tous les hommes de bonne volonté la Bonne Nouvelle du Règne qui vient, en attendant sa venue définitive,

- celui de la /diakonia/service/ qui fait de lui une communauté de service organisant dans la cité, au nom de la charité et du droit, la vertu politique par excellence qui se nomme justice.

Le Christ, pour organiser de l'intérieur ce peuple naissant, lui a donné, avant de partir, des /pasteurs/ appelés, à la suite du Collège des Douze, à en assurer l'unité et la continuité apostoliques.

Pour assurer l'identité, la croissance et la cohésion de leur église naissante, pour donner corps à cette mission, les groupes chrétiens des origines, dès qu'ils atteignaient une certaine ampleur et une certaine autonomie, accueillirent des /présidents/ de communautés ecclésiales (Ac 14:23) choisis en vertu du don de l'Esprit, hommes dignes d'honneur et de respect, "ni arrogants ni coléreux ni buveurs,(..) attachés à l'enseignement sûr" (Tit 1:6.9; 1 Tim 5:17.19). Associés collégialement à la mission du groupe apostolique des Douze, véritables chefs responsables (Ac 11:30), ces "anciens" ("presbytres" de l'Eglise, Ac 14:23; 20:7; Jc 5:14) étaient habilités à exercer leur fonction pastorale par l'imposition des mains des autorités apostoliques (1 Tim 5:2; 1 Tim 4:14). Leur mission était tout entière contenue dans cette recommandation de Paul: "Prenez soin de tout le troupeau (dont Jésus est le Pasteur suprême et unique: 1 Pi 2:25; 5:4; He 13:30) dont l'Esprit Saint vous a établis les gardiens; soyez les bergers de l'Eglise de Dieu qu'Il s'est acquise par son propre sang "(Ac 20:28). Et l'on sait, par le sommaire d'Ac 2:12s, que la vie des premières communautés consistait à se rassembler en communion fraternelle ("koinonia") pour célébrer la fraction du pain ("leitourgia"), pour entendre l'enseignement des apôtres ("marturia") et pour mettre en commun leurs biens ("diakonia").

Ainsi la vocation fondamentale du responsable de l'Eglise (locale), "intendant des mystères de Dieu" (1 Cor 4:1s), "ministre de l'alliance nouvelle"(2 Cor 3:6) était celle du /pastorat/ (assurée par le couple théologique épiscopat-presbytérat qui se mit progressivement en place) et elle consistait à présider (prae-esse) la communion ecclésiale ("koinonia"), en assurant sa vitalité et sa croissance par les ministères simultanés et interactifs de la /leitourgia/, de la /marturia/ et de la /diakonia/.

Du coup, l'on comprend la confusion permanente qui apparaît lorsqu'on parle indifféremment de "sacerdoce"et de "presbytérat". Parler du Christ-prêtre est pour le moins ambigu (pourquoi ne serait-il pas évêque?); dire que le prêtre est un "autre Christ" l'est tout autant; parler des "prêtres de Jésus-Christ" n'a pas de sens: on est disciple de Jésus et prêtre de son Eglise; affirmer qu'un évêque a la "plénitude du sacerdoce" demande une relecture sérieuse de l'épître aux Hébreux 4:14 et 8-9; écrire que le "prêtre doit se conformer au Christ souverain prêtre" (EdM n°8 2000 p 15) relève du funambulisme spirituel; chanter à tue-tête "peuple de prêtres" est une absurdité ecclésiologique.

La langue française dispose de l'adjectif "sacerdotal", mais pas du substantif correspondant, "le sacerdote". On dit d'un futur prêtre qu'il va recevoir l'ordination "sacerdotale"; pourquoi ne le dit-on pas d'un évêque ? On parle dans la même foulée du "sacerdoce" des fidèles. Si on ne sépare pas avec clarté ces termes à forte densité théologique, on n'y comprend plus rien.

Le Christ lui-même ne s'est jamais attribué le titre de "prêtre", pas même de "grand-prêtre", bien qu'il ait défini sa mission en termes sacerdotaux (sacrifice, mort, expiation des péchés, salut du peuple saint). Paul a présenté la mort de Jésus sous les figures du sacrifice de l'agneau pascal et de l'humiliation du Serviteur, mais jamais l'apôtre n'a donné à Jésus le titre de "prêtre". Il en va de même pour tous les écrits du N.T., sauf l'épître aux Hébreux. Tout en ne parlant pas de "prêtre", celle-ci explicite à profusion le "sacerdoce" du Christ, "grand-prêtre de la nouvelle alliance"(Heb 4:14). "Il n'y a qu'un seul grand-prêtre, selon l'ordre de Melkisédeq: puisqu'il demeure pour l'éternité, il possède un sacerdoce exclusif (…), toujours vivant pour intercéder en faveur de ceux qui s'avancent vers Dieu" (Héb 7:24-25): le Christ est donc le seul auquel le vocabulaire sacerdotal puisse être appliqué. (la configuration sémantique de l'épître est significative: grand-prêtre, saint des saints, sanctuaire, sacré, sacerdoce, sacrifice, sang, souillure, victime, autel, culte, expiation, pureté cultuelle, rançon des péchés, etc).

Du coup aussi, pour sortir du confusionnisme, il faut absolument faire la distinction entre "l'homme du sanctuaire", ministre du culte et officiant du sacré, desservant du temple ou de l'autel, le /sacerdote/, dont l'espace-temps opposé est le monde profane ("pro-fanum", devant le temple) et "l'homme de la communauté" et de son histoire, "l'ancien", le /presbuteros/ chargé de susciter, de faire croître et de coordonner les multiples dons et charismes qui construisent et vivifient une église: "les uns sont apôtres, les autres évangélistes, les autres docteurs, les autres chargés de l'enseignement, de l'exhortation ou des œuvres de miséricorde, etc" (1 Cor 12/8s). La vie de la communauté ecclésiale étant, au bout du compte, une vie selon l'Esprit qui prend soin de la structure de l'édifice comme de son animation et qui distribue ses dons comme il veut et à qui il veut, l'extraordinaire variété des compétences et des ministères, loin de nuire à l'unité du peuple de Dieu, fait bien au contraire grandir solidairement le corps tout entier aussi bien d'ailleurs que chacun de ses membres. Le même Esprit qui crée l'Eglise, crée en elle l'unité et l'ordre dans la liberté, et c'est en maintenant solidement la pluralité féconde des ministères des baptisés dans l'unité fondatrice du magistère du Christ que l'Eglise, édifice spirituel de pierres vivantes, pourra atteindre ses dimensions catholiques et son unité apostolique. Ce projet passionnant est la définition même de la mission pastorale de l'Eglise dans le monde de ce temps. Et, partant, celle du ministère épiscopal-presbytéral.

Parler d'ordination "sacerdotale", c'est ramener le ministère des ordonnés à l'une des trois dimensions de la médiation du Christ et faire du prêtre, implicitement et restrictivement, l'homme du sanctuaire, un ministre du culte et un officiant de l'autel.

Parler d'ordination "presbytérale", c'est faire du baptisé appelé par l'église le pasteur d'un peuple, tout à la fois le président d'une assemblée eucharistique, le porte-parole de l'évangile et le serviteur de la justice, pastorat dont l'épiscopat est la plénitude. L'épiscopat/presbytérat est donc un ministère apostolique qui se définit par l'ensemble de sa mission: la liturgie, la prophétie et la diaconie. Ne mettre l'accent que sur l'un de ces aspects, c'est tronquer l'essence du pastorat et tomber dans le spiritualisme victimal et la consolation de l'âme. L'ordination reconnaît l'aptitude à rendre le service du ministère, mais elle reste elle-même au service des communautés. Elle ne donne ni une identité supra-chrétienne ni des pouvoirs sacrés.

Le sacerdoce est une fonction, la prophétie est une vocation et le presbytérat un ministère. Grâce au choix du Concile, le langage ministériel s'est largement imposé, bien que, hélas, sous la pression du centre romain, le langage "sacerdotal/sacrificiel" revienne en force. Le Concile ne renonce pas à une terminologie sacerdotale et entend souligner que tout ministère "sacerdotal" demeure une participation au sacerdoce du Christ, qu'il existe pour le service du peuple sacerdotal, qu'il garde une dimension cultuelle essentielle. Personne ne le conteste. Mais le même concile reconnaît l'ambiguïté de ce langage et, de toute, façon, le situe dans une perspective plus large, c'est-à-dire ministérielle. Le courant proprement conciliaire de Vatican II n'est pas celui du "sacerdoce", mais celui du "ministère", perspective adoptée par l'Eglise primitive. Hélas, il n'y a pratiquement plus d'évêques qui ont participé à ce concile et la majorité de ceux qui sont sélectionnés par l'administration romaine le sont pour leur docilité à l'autorité et leur soumission au dirigisme centralisé de la pensée unique.

Ainsi, toute l'humanité est appelée à devenir ce qu'elle est, dans le projet de Dieu, par le ministère de médiation apostolique indispensable des /pasteurs/de l'Eglise: une communauté de fils adoptifs dont Dieu est le Père, le Christ, depuis sa résurrection d'entre les morts, le Frère aîné et l'Esprit, depuis son irruption à la Pentecôte, le Témoin qui permet à tous de proclamer, en esprit et en vérité, que Jésus est Seigneur et que Dieu n'a qu'un seul Nom, "Abba", c'est-à-dire Père.

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Pierre et Paul


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