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Les enjeux d’un projet pastoral diocésain. camille-paul cartucci
I° visées théologales :
Elaborer un projet pastoral consiste donc, si l’on veut travailler à long terme et permettre au peuple de Dieu de devenir, à l’intérieur de la Parole de Dieu, le sujet de son propre devenir et de sa propre histoire, à proposer non pas un vague plan à courte vue de réaménagement du territoire, mais à se donner des objectifs et des perspectives de grande envergure. Et, une fois formulée son utopie théologale, la théologie pastorale, qui est une démarche d’expérience inductive, doit élaborer les programmes et les voies propres à sa mission apostolique. Ces voies sont celles d’une théologie des signes des temps, recommandée par le pape Jean XXIII lui-même dans l’encyclique Mater et Magistra (n° 236-238), officialisée par les recommandations conciliaires de Gaudium et Spes, appliquée par le pape Paul VI dans Octogesima adveniens : regarder les faits, les éclairer par la foi, préciser les choix d’action pastorale. Et tout remettre en question chaque fois que les faits changent…..
A/ une estimation précise de l’état des lieux : faire sur la base d’analyses sociologiques préalables chiffrées et pas seulement à partir d’approximations d’officines restreintes, une épure sociologique du monde auquel veut s’adresser l’église locale : quelles sont les transformations socio-économiques qui ont accéléré la mobilité sociale (concentrations, déplacements, répartition démographique) et qui ont modifié la physionomie de la population, l’évolution de la démographie, des groupes socio-professionnels du département, voire de la région ? Se donner les éléments d’une connaissance scientifique de la ville (qui regroupe 80 à 87 % de la population) et de la civilisation urbaine contemporaine, des communications qui la constituent, des forces qui la mettent en mouvement.
B/ une réflexion : dans une société qui valorise le sujet individuel, dont la figure emblématique est le technicien à qui est reconnu un statut quasi messianique; où est dévalorisée la culture générale classique et tout ce qui relève du pourquoi des choses, donc de la réflexion extrême; et où toute forme de religion est tolérée mais reléguée dans la sphère de l’intime, du privé et du consolant ; où le modèle réussi et l’archétype de la modernité est la ville, fief culturel de l’homme au sommet de son pouvoir et de son art, de l’équilibre cosmique, politique et social, symbole du royaume de ce monde technicisé et autonome; centre au cœur duquel se croisent toutes les formes de religion, de philosophie, de modes de pensée et de vie, dans une telle société, dis-je, quelle théologie ouverte saura faire de cette Eglise un interlocuteur reconnu et crédible ? Quel message et quelle ecclésialité mettre en action pour donner un sens à la substance historique du monde ? Peut-on encore annoncer l’Evangile du Bon Pasteur à des hommes qui vivent en ville, en banlieue ou en blocs et qui entendent parler de vols orbitaux, d’explorations intersidérales, de télématique, de manipulations génétiques, de bio-technologies, de mondialisation, de changements climatiques, etc, avec des mots qui sont ceux de la société rurale conservatrice traditionnelle, à des gens qui n’ont jamais vu un mouton brouter dans une prairie ni entendu une chèvre bégueter dans le maquis ?
C/ une mise en œuvre programmée et collective :
1. une pastorale de la Diaconie : l’Eglise d’Europe occidentale étant rurale dans toute son organisation administrative (diocèse, paroisses, provinces) depuis le Haut Moyen Age (et les choses n’ont guère été modifiées depuis), les paroisses urbaines n’étant souvent que des paroisses rurales transportées en ville, si l’Eglise veut affronter la mégalopole à venir, il lui faut absolument remettre en question l’ensemble de ses structures et de ses schèmes de pensée et notamment le système paroissial.
L’idée s’impose qu’il faut partir de la ville comme réalité globale, qu’il faut susciter le peuple de Dieu à partir du peuple de la ville et donc se donner un espace apostolique global en sortant du saucissonnage territorial obsolète hérité du bricolage du passé : pour éviter que la paroisse existante ne demeure isolée dans le mouvement de la ville et de la vie, il faudra faire d’une ville de 100.000 habitants une seule unité pastorale, sans évidemment faire disparaître les multiples relais de proximité existants que sont les églises et leurs collatéralités, remodeler les doyennés à partir des contours de la réalité sociale, mettre en place un Conseil pastoral urbain unique et élu qui aura pour mission d’élaborer une théologie pastorale globale et de faire des propositions de travail et de réflexion aux sous-ensembles que seront les doyennés animés par leurs propres conseils pastoraux.
2. une pastorale de la Parole : il faut en finir avec une théodicée ou une religiosité doloriste (passéiste, moralisatrice) qui n’intéresse plus personne et nourrir la réflexion à partir d’une théologie en-thousiaste de la Résurrection et de la Venue du Règne, dont l’Eglise, qui n’est pas le salut mais le lieu où ce salut est annoncé, confessé et célébré, est le Signe et rien d’autre. Cette théologie de l’innovation et de l’avenir doit affirmer que le monde est aimé de Dieu de toute éternité, qu’il est appelé à devenir la Ville du Dieu Vivant, que Jésus est mort pour faire mourir la vétusté du passé et pour mettre au monde une création nouvelle, vivifiée par la puissance de rénovation de cet Esprit aux sept dons qui l’a ressuscité d’entre les morts.
Cette théologie a pour enjeu pastoral d’articuler l’histoire du salut, dont le modèle accompli est la Cité sainte qui descend du ciel et l’histoire du monde, dont le référent emblématique est la Cité des hommes qui se construit jour après jour dans l’énorme creuset de la société moderne.
3. une pastorale de la Célébration : il faudra réfléchir au décalage qui existe entre les rituels de la liturgie et ceux de la cité moderne, entre le vocabulaire religieux des églises et le langage de la société urbaine (structure des cérémonies, oraisons au style inadapté et souvent incompréhensible; découpage arbitraire des textes de la Bible; ritualisme rigide et stéréotypé lié à un calendrier de fêtes calqué sur le rythme agreste des saisons et qui n’a plus rien à voir avec l’espace-temps parcellisé et précipité de la vie urbaine) ; mettre en pratique, avec audace, les intuitions et les propositions rénovatrices du Concile. La prière étant la foi en action, c’est-à-dire une libre réponse au don que Dieu nous fait de lui-même dans le Christ, la liturgie doit se modeler sur les rythmes de la vie, se concevoir en fonction du rôle que jouent les chrétiens dans la cité et de la réponse qu’ils font à un appel qui leur vient d’ailleurs.
Moyennant quoi s’accomplit la vocation de l’Eglise, peuple sacerdotal, prophétique et royal pour le service du monde à qui elle veut annoncer un message qui la dépasse. En s’adaptant sans cesse aux mutations permanentes et accélérées de ce monde happé par le futur, fidèle à la mémoire de ses origines et de sa tradition, elle accomplit aujourd’hui sa mission comme elle l’a fait, cahin-caha, durant les deux millénaires passés et comme elle le fera encore, avec la grâce de Dieu et de l’Evangile, lorsqu’elle entrera, avec toute l’humanité, en 2001, dans le 3ème millénaire de son histoire. En voyant grand, juste et loin, elle donne une Histoire au Projet fondateur de Celui qui était, qui est et qui vient. Projet pastoral exemplaire, s’il en est.
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